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«L’Afrique est très en avance sur la recherche et la science», Dr Pascal Nedembga, directeur de la pharmacopée traditionnelle

Dans son bureau sis à la Trypano de Ouagadougou, une véritable caverne d’Ali Baba : des tas de médicaments issus de la médecine traditionnelle burkinabè dans tous les coins. Des produits contre les ulcères, les hémorroïdes, le VIH/Sida, les hépatites, la rétention urinaire, l’éjaculation précoce, les migraines, les maux de dent, la dysenterie, la colopathie, la fièvre typhoïde… Le locataire des lieux, c’est Docteur Pascal Nadembega, actuel directeur de la pharmacopée traditionnelle.
Dans une interview qu’il nous a accordée le 30 avril, il révèle que le Burkina Faso dispose d’un trésor de médicaments naturels pour soigner ses malades, mais que l’Etat est objet de pression par les firmes pharmaceutiques. Lisez plutôt !

L’Economiste du Faso : Quelle est la politique mise en place par le Burkina Faso pour valoriser la pharmacopée traditionnelle aux côtés de celle conventionnelle ?
Docteur Pascal Nadembega : A part le Nigeria et le Ghana, je pense que le Burkina Faso dispose d’une bonne politique en matière de pharmacopée traditionnelle. Vous n’ignorez pas qu’avant et pendant la colonisation, la médecine africaine était interdite par la loi parce que considérée comme du charlatanisme (référence au livre de Dimdolosom sur «Les secrets des sorciers noirs».

Selon Docteur Pascal Nadembga : « Le Burkina Faso dispose d’un trésor de médicaments naturels pour soigner ses malades mais l’Etat est objet de pression par les firmes pharmaceutiques». (DR)

Après les indépendances, beaucoup d’intellectuels africains ont essayé de mettre en pratique tout ce qui était africain. Cette obstination a abouti à la reconnaissance de la médecine africaine, surtout au Burkina Faso, avec le premier Secrétaire général du CAMES qui était le Pr Joseph Ki-Zerbo. En 1970, l’Etat burkinabè a pris une ordonnance pour reconnaître la médecine traditionnelle, en 1980, le même Etat a adopté une loi qui intègre la médecine traditionnelle dans le système de santé publique.
Plus tard, l’Etat a mis en place la Direction de la médecine traditionnelle qui s’appelait autrefois, médecine et pharmacopée traditionnelle. Ensuite, il y a eu des décrets, des lois et des arrêtés pour définitivement consacrer la reconnaissance de la médecine traditionnelle. Ces différents textes règlementaires précisent les conditions et les modalités d’ouverture d’un cabinet de soins traditionnel, l’autorisation de mise sur le marché des médicaments issus de la pharmacopée traditionnelle….Cette politique a été accentuée avec le programme présidentiel du président actuel, Roch Marc Christian Kaboré, qui fait de la promotion de la pharmacopée traditionnelle, une priorité. Cette option présidentielle démontre une volonté politique affichée.
Mais un autre président qui a mis en avant la médecine traditionnelle, c’est Thomas Sankara. Quand nous parcourrons les villages dans le cadre de notre suivi des tradipraticiens, ils nous disent que la médecine traditionnelle n’a jamais été autant promue et valorisée que sous la Révolution. Grâce à toutes ces politiques volontaristes, le Burkina Faso dispose, à nos jours, de plus de 55 produits issus de la pharmacopée traditionnelle qui ont des autorisations de mise sur le marché. On peut citer, entre autres : le produit contre les hépatites, les hémorroïdes, la drépanocytose, (le produit contre les maux de cœur a été breveté et celui contre les ulcères du quartier Samandin à Ouagadougou). Malheureusement, nos tradipraticiens sont limités par les ressources financières pour mettre à la disposition des utilisateurs, des produits traditionnels de qualité et de quantité.

Valoriser la pharmacopée traditionnelle à côté de celle conventionnelle n’heurte elle pas les intérêts des firmes pharmaceutiques ?
C’est vrai, mais est-ce que vous savez que de nos jours, c’est vers les produits naturels que ces firmes pharmaceutiques ont recours. Cela se justifie par le fait que les chiffres d’affaires de ces firmes ont chuté avec les produits chimiques. Les firmes pharmaceutiques, pour tromper la vigilance des consommateurs dans l’utilisation des produits naturels, utilisent l’expression «complément alimentaire». Donc, en général, les firmes pharmaceutiques ne mettent pas la mention «utiliser contre» ou encore «utiliser pour soigner», elles mettent plutôt «c’est utiliser pour» ou «conseiller dans les cas suivant… Or, «complément alimentaire» et «produits naturels» produisent le même effet chez le malade. Cette méthode des firmes pharmaceutiques n’est pas mauvaise si elle peut permettre de vulgariser les produits naturels. L’Etat burkinabè pourrait, par exemple, dire que désormais, toutes les plantes utilitaires sur le plan sanitaire sont d’office déclarées «complément alimentaire», à l’image du Moringa et bien d’autres. Vous savez, le premier médicament d’un être humain, c’est d’abord l’alimentation. Et vous voyez qu’avant, nos ancêtres utilisaient les plantes médicinales, ce qui leur permettait de rester longtemps en vie. Le Burkina Faso n’a pas besoin de la chimie que nous déversent les firmes pharmaceutiques, encore moins de la médecine occidentale qui est foncièrement basée sur le gain.
L’Afrique est très en avance sur la recherche et la science; sachant cela, les Européens ont lavé notre esprit en nous amenant à abandonner notre savoir au profit du leur. Sinon, nos tradipraticiens ont des notions très poussées sur la toxicité des plantes médicinales. Il faut que l’Afrique s’organise pour valoriser son vivier de plantes médicinales sinon, nous courrons vers la perte de nos valeurs culturelles.

Parlez-nous de cette plante miraculeuse «Artémisia»
D’abord, sachez qu’il y a différentes espèces de la plante d’artémisia (10 espèces). Ici, au Burkina Faso, nous avons l’artémisia afra, c’est une plante très efficace et qui peut venir à bout de beaucoup de maladies. L’expérimentation de l’artémisia afra a été faite ici même dans nos laboratoires, les semences sont disponibles au centre d’excellence forestier, les conclusions sur cette plante médicinale ont été remises au ministère de la Santé mais rien n’a été entrepris dans le sens de sa vulgarisation.

Pourquoi cette inertie au ministère ?
Les explications possibles: est-ce que le Burkina Faso a suffisamment d’influence pour contrer ceux qui fabriquent la nivaquine, la chloroquine ou bien est-ce que l’artémisia afra peut-il contrer l’artémisia anua? Si aujourd’hui, on se lève pour dire qu’il y a plus d’effets dans l’artémisia africaine qu’européenne, on ne trouvera pas d’interlocuteurs en Europe pour nous écouter, encore moins financer sa production.

Mais pourtant, cette plante est reconnue pour ces vertus qui peuvent sauver des millions de malades du paludisme, notamment les enfants et les femmes enceintes ?
Oui, c’est vrai ! Mais il faut une volonté politique pour la vulgariser. Cette volonté passe par l’exemple du Nigeria, là-bas, ils ont des hectares de champs de Moringa. Au Burkina Faso, on pourrait encourager cela et mettre à contribution les différents technopôles que l’Etat veut créer à travers le pays pour produire et les transformer en gélules pour la population. Parlant de paludisme qui tue les Burkinabè, savez-vous que le pays dispose d’un vaccin breveté contre le paludisme depuis 1996. Les autorités politiques sont au courant. Mais très souvent, vous allez voir un aventurier qui débarque de nulle part pour nous dire de laisser tomber ce vaccin, il n’est pas efficace. Alors que c’est archi-faux. Parce que tout simplement des intérêts financiers sont en jeu.

Ah bon ?
La lutte contre le paludisme est très rentable pour les firmes pharmaceutiques (conférence, colloque, ouverture des pharmacies…).
Ainsi donc, les maladies sont un business pour des personnes véreuses ?
Le Sida, ce n’était pas un business? Nous avons des produits que le Burkina Faso a faits : une trithérapie à base de plantes qui était distribuée à l’hôpital Saint Camille qui a fait long feu. Quand la trithérapie chimique est arrivée, certains malades prenaient toujours nos produits naturels. Ce qu’on leur administrait était composé de Moringa et de certaines plantes médicinales qu’on avait combinées à l’aide de tradipraticiens: un antiviral et un immuno stimulant.
Une deuxième formulation a été faite et qui est actuellement déposée dans mon bureau. Les scientifiques ont fait l’expérimentation à l’hôpital Yalgado Ouédraogo et l’hôpital de Pissy avec des personnes vivant avec le VIH. Les résultats ont été très concluants. Ils voulaient juste 3 millions FCFA pour publier leurs résultats, ils n’ont pas eu de réponse favorable au niveau du ministère de la Santé. Toutes ces analyses dorment dans des tiroirs ici au Burkina Faso et malheureusement, il y a plusieurs exemples du même type. L’hépatite B dont on parle tant au Burkina Faso, un de nos tradipraticiens en dispose le produit.
Et aujourd’hui, celui-ci est dans l’incapacité de transformer son produit en gélule pour les malades faute de moyen financier et ce, malgré l’autorisation de mise sur le marché, mais aucun soutien financier (il nous montre d’autres échantillons de produits naturels de lutte contre l’hépatite).
L’hépatite B n’est pas nouveau, nos tradipraticiens connaissent le remède et arrivent à soigner les malades avec. Voilà aujourd’hui, l’Egypte a mis à la disposition de ses malades souffrant d’hépatite un produit naturel dont les Italiens partent se procurer.
Au Burkina Faso, précisément à Bobo-Dioulasso, notre médecine traditionnelle dispose d’un produit contre les sciatiques ou encore l’inflammation du disque (mal de dos). A base de plantes en trois mois, le malade recouvre totalement sa santé et le disque se reconstruit normalement. Mais, tous ces tradipraticiens sont laissés à eux-mêmes. Quand tu veux promouvoir ces produits, tu entends de ces phrases: «Ces produits contiennent trop de toxicité», «ces produits vont jouer négativement sur les reins».
Tout cela, ce sont les influences négatives des firmes pharmaceutiques qui sont à la recherche de leur gain. A part l’industrie d’armement, il y a que celle de la pharmacie qui engloutit le plus d’argent dans le monde. Nos tradipraticiens peuvent aider les dialysés, le cancer de foi, le cancer de poumon (un Français est venu au Burkina Faso, tout récemment, se soigner du cancer de poumon grâce à une tradipraticienne.
Après trois mois de soin, il a été complètement guéri, il est venu ici dans mon bureau me montrer tous ces scanners avant, pendant et après le traitement. Il m’a dit qu’il était prêt à témoigner sur son cas). Là où Dieu a mis une personne, il a aussi mis la solution de son problème là où cette personne vit. Nos tradipraticiens connaissent mieux le corps humain que les médecins actuels.

Quelles sont les retombées économiques de la médecine traditionnelle ?
Du point de vue économique, chaque année, on envoie tellement de plantes médicinales en Europe que vous ne pouvez pas imaginer. A l’aéroport, ils déclarent ces plantes médicinales comme étant des compléments alimentaires. Allez demander aux femmes installées dans le quartier Dagnoën et qui vendent les plantes médicinales, vous serez édifiés par leur chiffre d’affaires. Le paradoxe est que tous ceux qui dénigrent la médecine traditionnelle sont les premiers à se soigner avec. La demande est là, la maladie aussi, les connaissances et les plantes aussi, donc la balle est désormais dans le camp des gouvernants.

Ambèternifa Crépin SOMDA


Les perspectives ?

Création d’un Fonds d’appui à la médecine traditionnelle. Avec ce Fonds, les tradipraticiens peuvent innover, voire moderniser leurs produits au profit des consommateurs qui sont de plus en plus exigeants sur la qualité, et la modernité de l’emballage. Sinon, le Burkina Faso dispose de produit sur l’hépatite B depuis 2005 qui a été fait par les chercheurs et les tradipraticiens, mais pas assez connu. La raison est le manque de moyen financier. Les tradipraticiens burkinabè disposent d’un grand savoir sur la médecine traditionnelle mais ne sont pas aidés financièrement. Moi, j’ai espoir que notre médecine traditionnelle décollera, surtout si nous arrivons à mettre en place la stratégie sur la pharmacopée traditionnelle basée sur l’innovation. Notre démarche , c’est d’amener les tradipraticiens vers les coopératives et les petites et moyennes entreprises.

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RAF
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3 commentaires

    1. Publication de l’économiste : Avez vous eu le numéro du tradipraticien de l’hépatite B? Si Oui Veuillez me donner.Je veux pour un proche.

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