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«Diplomates fantômes»: 125 millions FCFA pour être Consul honoraire du Burkina

• Une affaire tranchée par la Justice canadienne

• Des accusations de corruption, blanchiment d’argent, etc.

• Les Burkinabè ne sont pas en reste

Cette histoire ouvre un pan sur le monde peu connu des Consuls honoraires. Qui sont-ils, comment sont-ils nommés? (DR)

Le 14 avril 2015, le Conseil des ministres du Burkina Faso marquait son accord pour la nomination de Patrick Guay en qualité de Consul honoraire du Burkina Faso auprès du Québec, au Canada. Une procédure qui marque les bonnes relations de coopération entre les deux pays. Mais pas que. Cette nomination ne s’est pas passée sans encombre. Mieux, un des acteurs impliqués dans l’obtention du poste de M. Guay fait face à des poursuites judiciaires.

Retour sur une affaire rocambolesque.

Fin août 2013, un souper est organisé dans un restaurant discret dans le district de Québec. Assistent, entre autres, à ce souper, l’Ambassadeur du Burkina Faso au Canada de l’époque, Me Stéphane Harvey, et Patrick Guay, accompagné de son épouse. L’objectif était de remettre le CV du candidat au Consulat honoraire du Québec au Burkina. Et comme gage de sa bonne foi, c’est Patrick Guay, le futur Consul honoraire, qui a payé la facture du souper de toutes les personnes présentes autour de la table.

Cette fonction, il le dira, il l’a acceptée pour faire plaisir à son partenaire d’affaires, l’Avocat Stéphane Harvey. Toutefois, il mentionne à Me Harvey que cette nomination ne doit lui occasionner aucun frais. Il ne veut pas débourser de l’argent. Me Harvey lui aurait alors expliqué que chaque Consul bénéficiait d’un budget pour les dépenses et que l’Ambassade défrayait des coûts et des frais de déplacement.

L’affaire se complique, quand Patrick Guay se rend compte qu’il devra débourser pas moins de 125 millions FCFA (250.000$) de frais, pour devenir Consul honoraire du Burkina Faso au Québec. Une nouvelle qui le refroidit et la relation entre les deux s’enveniment au point où le 5 juin 2015, soit moins de deux mois après sa nomination en Conseil des ministres, M. Guay transmet un courriel à l’Ambassade du Burkina Faso. Il informe l’Ambassadeur qu’il se retire de la fonction de Consul honoraire.

En raison de l’attitude de M. Guay, Me Harvey explique qu’il a perdu sa réputation dans le monde diplomatique. Il demande donc réparation pour les torts occasionnés et le remboursement des frais honoraires forfaitaires de référencement auprès du Burkina Faso.

L’affaire arrive en Justice et la Cour supérieure de Québec tranche. Le 7 juillet 2021, le tribunal a condamné Me Stéphane Harvey, ainsi que sa société au paiement des dommages et intérêts au montant de 5.000$ à Patrick Guay.

Cette histoire ouvre un pan sur le monde peu connu des Consuls honoraires. Qui sont-ils, comment sont-ils nommés, et surtout quelles casseroles ces derniers trainent derrière eux.

Dans le cadre du projet « Shadow Consuls » « NDLR Diplomates fantômes », L’Economiste du Faso, en partenariat avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ) et la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO), ouvre une fenêtre sur ceux qui représentent notre pays à l’étranger, avec un point en commun, leurs frasques.

Être lié au monde des affaires

Dans l’univers diplomatique, les Consulats honoraires sont dirigés par des Consuls honoraires.
La fonction de Consul honoraire du Burkina Faso à l’étranger est destinée à développer localement les relations d’amitié et de coopération entre le pays et la circonscription dans laquelle est nommé le Consul honoraire. Ce dernier a compétence pour représenter, auprès des autorités locales, les ressortissants burkinabè, défendre leurs intérêts et leurs personnes.
Le Consul honoraire peut, dans la limite du mandat qui lui est donné, être désigné, préposé à la perception des produits de chancellerie par décision du ministre chargé des affaires étrangères. Le Consul honoraire initie et soutient activement toute action favorisant la croissance des investissements étrangers, le développement des relations commerciales, touristiques, économiques et culturelles entre le Burkina Faso et sa circonscription.
Le Consul honoraire informe les autorités burkinabè sur les opportunités économiques locales et leur communique tous les renseignements pouvant éclairer le développement des relations bilatérales. Il bénéficie, enfin, d’un passeport diplomatique, en vue de faciliter leur passage aux frontières aéroportuaires et terrestres. Le passeport diplomatique octroie à son titulaire certains privilèges et immunités diplomatiques prévus par les Conventions internationales, et par les us et coutumes diplomatiques, en cours dans chaque pays.

Pour sa désignation, « le dossier est soumis au MAEC qui étudie son contenu en tenant compte des conditions d’éligibilité, puis proposition est faite à la Présidence et en Conseil des ministres », a expliqué à L’Economiste du Faso, un ancien diplomate. Ce dernier souffle aussi que ce n’est pas n’importe qui qui est désigné Consul honoraire. « Il faut une certaine capacité pour ouvrir un bureau, être bien introduit dans le monde des affaires ou de la communication ».

Enfin, une enquête de moralité doit être faite pour éviter certaines bavures. Hélas, de bavures, il n’en manque pas.

Un Consul accusé de corruption, sociétés écrans, blanchiment d’argent

Helder Jose Bataglia Dos Santos. (DR)

Helder Jose Bataglia Dos Santos. Comptant parmi ses amis des présidents d’Afrique et d’Amérique latine, cet homme d’affaires portugais, basé en Angola, a présenté son entreprise Escom comme un point de contact pour les nations et les entités internationales qui cherchent à investir en Afrique. Son succès lui a valu d›être examiné de près, dans le cadre de plusieurs enquêtes sur la corruption en Europe. Il est également un proche associé d›Álvaro Sobrinho, soupçonné d›avoir blanchi de l›argent alors qu›il était à la tête d›une banque liée à Escom en Angola. Selon le journal portugais Expresso, les deux hommes partageaient une société engagée dans des transactions et des prêts irréguliers d›une valeur de 1,6 milliard de dollars. Ils partageaient également trois comptes au Crédit suisse.

Dès mai 2005, une enquête sur le trafic d’influence avait été réalisée et impliquait l’homme d’affaires. Selon le journal Público, Escom, la société de Helder Jose Bataglia Dos Santos, fait l’objet d’une enquête au Portugal en relation avec l’affaire de corruption de Portocale, dans laquelle des milliers de chênes ont été illégalement abattus pour faire place à une station touristique.

Malgré cette réputation, le Conseil des ministres du Burkina Faso, dans sa session de 25 février 2009, a marqué son accord pour l’ouverture d’un Consulat du Burkina Faso à Lisbonne et la nomination de Helder Bataglia Dos Santos au poste de Consul honoraire du Burkina Faso audit Consulat, qui couvre le territoire portugais.

Juste un an après sa nomination, soit en mars 2010, le nom de l’homme d’affaires ressortait dans une autre enquête. Elle a porté sur une série de sociétés écrans utilisées pour verser des millions d’euros de «commissions» lors de l’achat par le Portugal de deux sous-marins allemands.

La plus grosse affaire dans laquelle le Consul honoraire du Burkina Faso à Lisbonne a été impliquée date de 2014. Il s’agit de l’affaire dite « Operation marquês ». Cette affaire a débuté par l’arrestation de l’ancien Premier ministre portugais, José Socrates, le 21 novembre 2014, à sa sortie de l’avion qui l’emmenait de Paris où il vivait, après avoir démissionné du gouvernement en 2011. Parmi les 29 autres accusés dans cette affaire figurent son ex-femme, son ancien chauffeur, un cousin, un Avocat, un ancien ministre, ainsi que plusieurs hommes d’affaires, dont le Consul honoraire Helder Bataglia Dos Santos. Ils ont été mis en examen pour les délits de fraude fiscale qualifiée, blanchiment d’argent et corruption passive pour acte illicite.

Sur le site web du ministère des Affaires étrangères du Burkina, on peut noter cette information, le Consul honoraire du Burkina Faso a démissionné de son poste en 2014. L’affaire « Operation Marquês » aurait-elle été la cause de ce départ ?

JB

 

Liens

https://www.icij.org/investigations/shadow-diplomats/accused-terror-financiers-arms-drug-traffickers/

https://www.propublica.org/series/shadow-diplomats

https://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2021/2021qccs3128/2021qccs3128.html?searchUrlHash=AAAAAQAUImNvbnN1bHMgaG9ub3JhaXJlcyIAAAAAAQ&resultIndex=1

https://cenozo.org/

https://www.icij.org/investigations/shadow-diplomats/about-the-shadow-diplomats-investigation/

https://www.mae.gov.bf/detail-structure?tx_news_pi1%5Baction%5D=detail&tx_news_pi1%5Bcontroller%5D=News&tx_news_pi1%5Bnews%5D=629&cHash=f466b9060366187a16e8e1663a9c208f

https://cdn.occrp.org/projects/suisse-secrets-interactive/en/person/24/helder-bataglia-dos-santos/

 

Filet

Emilien Ouédraogo, Consul honoraire du Liberia au Burkina

Il ne s’agit pas seulement de Consul honoraire du Burkina Faso à l’étranger, mais aussi de Consul burkinabè exerçant dans d’autres pays du monde. Retour sur le cas d’Emilien Ouédraogo, Consul honoraire du Liberia au Burkina. Il a pris la fuite après l’arrestation du Colonel Denise Barry. Selon le journal Courier confidentiel, des témoignages concordants, recueillis dans le cercle des enquêteurs, indiquent que c’est lui qui a contacté Paul Henry Damiba de la 1re Région militaire basée à Kaya. Le journal indique que les choses sont allées très vite et résume l›affaire en 3 actes :

Acte 1 : le Consul appelle le Commandant Damiba en prétendant avoir des chocolats à lui donner. Le Commandant, alors dans la capitale pour une cérémonie de mariage, accepte donc de le rencontrer. Acte 2 : au lieu du rendez-vous, le Consul lui remet en fait des paquets de chocolats. Éclats de rire, merci dit le journal. Acte 3 : le Consul sort un autre paquet, cette fois, ce n’est pas du chocolat mais plutôt de l’argent. 5 millions, pour être plus précis, il dit que la commission est «koro» c’est-à-dire le Colonel Barry.

Selon les sources du journal, le Commandant va ensuite contacter le Colonel pour lui faire part de son mécontentement. Le lieu de la rencontre est fixé : Stade du 4-Août. Le 5 février, lors de son audition qui a duré près de 3 heures, le Colonel Denise Auguste Barry a nié toutes les accusations portées contre lui. Le Consul honoraire, qui a réussi à quitter le pays, est dans le collimateur des officiers de police judiciaire.

 

Encadré

Le cas El Hadj Adama Kindo

Le Consul honoraire de la Guinée-Bissau au Burkina Faso a une réputation entachée. Nommé depuis 2012 à ce poste, El Hadj Adama Kindo a été épinglé en septembre 2015. Dans un rapport d’enquête publié par l’ONG suisse, « La déclaration de Berne », le nom de sa société d’or Somika a été évoqué. Le document a mis à jour une filière d’exportation d’au moins 7 tonnes d’or extrait du sous-sol burkinabè, notamment, par des enfants. Le métal jaune a ensuite transité par le Togo où la fiscalité est souple, avant d’atteindre la Suisse. Contacté à l’époque, lors de la parution du rapport, sa société a nié tous méfaits.

Le Burkinabè a aussi été épinglé par le Réseau national de lutte anti-corruption (REN-LAC).

Dans son étude sur « les perceptions et les présomptions de la corruption dans le secteur minier au Burkina Faso », publiée en décembre 2015, l’étude fait des révélations sur l’ampleur de la corruption dans ce secteur.

Des sociétés minières ont obtenu des autorisations ou titres miniers sans avoir suivi la procédure en la matière. « Cas le plus souvent cité, celui de SOMIKA de Kindo Adama, que le magazine Africa Mining, paru en avril 2013, a surnommé le « Roi de l’orpaillage », parce qu’il détiendrait « une vingtaine de titres d’exploitation artisanale et une trentaine de licences d’exploration dans le Nord et l’Ouest du pays, en violation flagrante de la loi », a déclaré le Secrétaire exécutif du Réseau, lors de la publication du rapport. Le même rapport affirme que le groupe de Kindo « a versé des pots-de vin à des hauts fonctionnaires, en contrepartie de permis miniers ».

Dernier point, le Consul honoraire de la Guinée Bissau au Burkina Faso est présenté par la presse comme un proche du pouvoir Compaoré à l’époque. Des accointances que ce dernier a toujours réfutées.

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