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Lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme: nouvelles obligations pour les entreprises

La lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme implique de nouvelles dispositions, dans le contexte que nous connaissons.

L’administration fiscale burkinabè a mis en place de nouvelles obligations déclaratives et documentaires pour les entreprises, visant à plus de transparence des flux financiers (« prix de transfert ») et à l’identification des acteurs économiques (les « bénéficiaires effectifs »).

Les « prix de transfert » sont les prix pratiqués entre entreprises d’un même groupe. Jouer sur ces tarifs internes est un moyen efficace pour transférer les bénéfices d’une entreprise d’un groupe vers une autre entreprise du même groupe, situé, notamment, dans un pays à fiscalité privilégiée. Inversement, la manipulation des prix de transfert est un moyen pour transférer des fonds dans un pays, afin d’y commettre des faits répréhensibles.

Dans ce contexte, il est dorénavant fait obligation aux entreprises de disposer, en permanence, d’une documentation permettant de justifier la politique de prix (tarifs) pratiquée entre elles, d’une part ; et, dorénavant, de déclarer annuellement les « prix de transferts » pratiqués au cours de l’exercice écoulé.

Ce dispositif se superpose à l’obligation de déclarer les véritables propriétaires (bénéficiaires effectifs) des entreprises et de tenir un registre à cet effet.

Nul doute que les contrôles fiscaux des entreprises visées porteront sur ces questions dorénavant.

Des amendes fiscales d’au moins 10.000.000 FCFA en ce qui concerne la déclaration de prix de transfert et l’obligation documentaire et de 2.500.000 FCFA en l’absence de déclaration de bénéficiaires effectifs et la tenue du registre des bénéficiaires effectifs sont prévues.

Afin d’optimiser leurs bénéfices, les groupes de sociétés sont tentés de jouer sur les prix des transactions (« prix de transfert ») qu’ils pratiquent entre eux.

Les prix de transfert font partout l’objet d’une attention particulière des autorités fiscales. En effet, c’est un moyen qu’utilisent les entreprises pour réduire leurs bénéfices imposables et diminuer, par conséquent, l’impôt sur les bénéfices dans les pays à forts taux fiscaux. Ce manque à gagner a été évalué pour les pays africains entre 450 et 730 millions de dollars par an et ce, dans le seul secteur minier, selon une étude du FMI (09/2021)

Elles s’y prennent généralement soit par majoration ou diminution des prix d’achat ou de vente, soit par des paiements de redevances excessives ou sans contrepartie, soit par des prêts sans intérêt ou à des taux minorés ou majorés, soit par des remises de dettes, soit par des avantages hors de proportion avec le service rendu, soit par tout autre moyen permettant de diminuer l’assiette fiscale.

Dans le contexte contemporain de la surveillance plus accrue des mouvements internationaux de fonds, la manipulation des prix de transferts peut, dans un autre sens, se révéler un moyen efficace et perfide pour déguiser les transferts de fonds à des desseins illicites (financement du terrorisme, par exemple).

Compte tenu de ces pratiques et pour réduire les risques de voir s’échapper artificiellement des bénéfices imposables du fait des prix de transfert, d’une part, et prévenir le blanchiment de capitaux et autres financements d’activités illégales, d’autre part, le Burkina Faso, quant à lui, a renforcé son dispositif de contrôle à travers :

L’institution, à compter du 1er janvier 2022, de l’obligation de souscrire une déclaration annuelle des prix de transfert ;

Et depuis 2018, l’obligation de tenue d’une documentation permettant de justifier la politique des prix pratiquée entre entreprises d’un même groupe.

Ces mécanismes viennent se superposer à l’obligation de déclaration des bénéficiaires effectifs (véritables propriétaires)
des entreprises et la tenue d’un registre des bénéficiaires effectifs ; le tout dans un élan plus global de lutte contre les transferts et mouvements illicites de fonds.

I- L’obligation de souscrire une déclaration annuelle des prix de transfert

Qui est concerné ?

Cette obligation s’applique aux entreprises liées exploitées au Burkina Faso.

Par entreprises liées, il faut entendre les entreprises, qui détiennent à plus de 50% au Burkina ou ailleurs, une entreprise dont le chiffre d’affaires ou l’actif brut est au moins égal à 1.000.000.000 FCFA,

ou qui sont détenues à plus de 50% par une entreprise dont le chiffre d’affaires ou l’actif brut est au moins égal à 1.000.000.000 FCFA.

Quand faire la déclaration ?

Au plus tard le 31 mai de l’exercice en cours, pour le compte de l’exercice clos le 31 décembre de l’année précédente.

Comment faire la déclaration ?

La déclaration est souscrite au moyen d’un formulaire conforme au modèle de l’administration .

Il est téléchargeable sur www.impots.gov.bf/service-en-ligne/imprimes

Il y est rapporté les informations concernant l’identité de l’entreprise concernée, le groupe multinational auquel elle appartient et des informations spécifiques sur les flux financiers entre l’entreprise et les autres entreprises du groupe.

Où faire la déclaration ?

L’article 99 du CGI, qui institue l’obligation de souscrire la déclaration annuelle, ne précise pas le service fiscal auprès duquel il faut se rapprocher. Toutefois, nous considérons que la déclaration est à faire auprès du service fiscal de rattachement du contribuable.

Quelles sont les sanctions en cas de non-déclaration des prix de transfert ?

Amende de 10.000.000 FCFA pour défaut de déclaration, ou déclaration incomplète ou inexacte des prix de transfert.

L’obligation de tenue d’une documentation permettant de justifier la politique des prix pratiquée entre entreprises d’un même groupe.

II- Obligation de documentation

Qui est concerné ?

Sont concernées les mêmes entreprises liées (cf. définition au point I-1. ci-dessus).

Quand faut-il tenir la documentation de prix de transfert ?

La documentation sur les prix de transfert doit être tenue en permanence, ceci, car elle est mise à la disposition de l’administration fiscale en cas de vérification de comptabilité, sachant qu’une vérification peut être inopinée.

Quel est le contenu de la documentation ?

L’obligation documentaire se décline en l’obligation de tenir :

– d’une part, une documentation concernant le groupe d’entreprises liées,

– d’autre part, une documentation afférent à l’entreprise concernée.

Concernant le groupe:

Il s’agit d’une :

– description générale de l›activité déployée,

– description générale des structures juridiques et opérationnelles du groupe d›entreprises associées,

– liste des principaux actifs incorporels détenus par le groupe (brevets, marques, noms commerciaux) et une description des mouvements de transferts au sein du groupe,

– description générale de la politique de prix de transfert du groupe,

– description du schéma financier du groupe,

– documents reflétant la situation financière et fiscale du groupe (états financiers consolidés, décisions d’autorités fiscales sur la répartition des bénéfices, accords unilatéraux sur prix de transfert).

Concernant l’entreprise :

– une description de l’activité déployée,

– une description des opérations réalisées avec d’autres entreprises associées,

– une liste des accords de répartition de coûts, ainsi qu’une copie des rescrits ou accords conclus affectant les résultats de l’entreprise vérifiée,

– une présentation de la ou des méthodes de détermination des prix de transfert dans le respect du principe de pleine concurrence, comportant une analyse des fonctions exercées, des actifs utilisés et des risques assumés, ainsi qu’une explication concernant la sélection et l’application de la ou des méthodes retenues ;

– selon les cas, l’ensemble des documents qui sont exigés des sociétés passibles de l’impôt sur les sociétés, y compris le bilan et le compte de résultat.

Comment (sous quel format) tenir cette documentation ?

Le législateur n’a pas prévu une forme particulière sous laquelle il faut tenir la documentation.

Nous en concluons qu’elle peut être tenue au format souhaité (dématérialisé ou non) par l’entreprise.

Sanctions

Le non-respect de l’obligation de tenue d’une documentation des prix de transfert fait encourir à l’entreprise contrevenante
une amende de 0,5% du montant des transactions concernées, avec un minimum de dix millions (10.000.000) FCFA pour défaut de réponse ou réponse incomplète à la mise en demeure de l’administration, dans le cadre d’une vérification de comptabilité.

III- A propos de la déclaration des bénéficiaires effectifs

Elle consiste à décliner l’identité des véritables propriétaires des entreprises, entendus comme la ou les personnes physiques qui :

– Soit détiennent directement ou indirectement au moins 25% (25% ou plus de 25%)  du capital ou des droits de votes.

– Soit, à défaut d’avoir pu identifier les actionnaires à 25%, les personnes physiques qui exercent un pouvoir de contrôle sur : les organes de gestion ou de direction ou sur les associés de la société, s

– Soit, à défaut d’avoir pu identifier un bénéficiaire effectif des deux catégories ci-dessus, alors déclarer le dirigeant de la maison mère.

La déclaration est établie au moyen du formulaire/ imprimé « DIBE » disponible auprès de l’administration fiscale et sur lequel sont renseignées l’identité du contribuable déclarant, l’identité du bénéficiaire effectif, la précision sur les parts et droits de vote détenus, la précision éventuellement s’il s’agit du dirigeant principal ou s’il s’agit d’une personne exerçant un contrôle sur la direction de l’entreprise (il faut indiquer les moyens et nature du contrôle exercé).

Cet imprimé est accessible sur la page : www.impots.gov.bf/service-en-ligne/imprimes

IV- Registre des bénéficiaires effectifs

Au regard de la présentation du formulaire DIBE, il est compris qu’il faut établir autant de déclarations individuelles que de bénéficiaires effectifs de l’entreprise concernée. Il est rappelé, par ailleurs, que les entreprises doivent tenir un registre des bénéficiaires effectifs, constamment à jour. A ce jour, nous n’avons pas connaissance d’un modèle décliné par l’administration fiscale (voir alors notre avis sur la question dans l’article paru dans L’Economiste du Faso n°428 du 28 février 2022). Dans l’attente de précisions, il peut être, à notre avis, tenu en numérique ou sur papier.

Pierre ABADIE,

Robert HIEN, Fatima DRABO,

Brunel OUEDRAOGO

Cabinet Pierre Abadie

Expertise comptable

Conseil juridique et fiscal

Auteur d’ouvrages juridiques

[email protected]

www.pierreabadie.com

 

Encadré

Une aubaine pour les recettes fiscales du pays et sa sécurité

Alors que le Groupe d’action financière (GAFI), garant du respect des normes et standards internationaux en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LBC-FT), a placé le Burkina Faso sur la liste des juridictions  « sous surveillance renforcée », communément appelée liste « grise », et dans le contexte sécuritaire que nous connaissons, qui génère de nouveaux besoins de financement, la lutte pour la transparence se renforce et l’administration fiscale se mobilise et mobilise les entreprises.

Il est à craindre que les entreprises burkinabè, qu’elles soient mères ou filles, ne soient victimes de redressements fiscaux conséquents, dans les prochains mois et années. Pour se protéger, elles doivent porter une attention particulière à la formalisation de leur dossier (documentation, déclaration de prix de transfert, déclaration des bénéficiaires effectifs, registre des bénéficiaires effectifs.

Après une période éventuellement douloureuse de mise en conformité, nous pourrons observer sans doute une gestion améliorée des groupes de sociétés qui appliqueront des tarifs plus en considération des réalités économiques et moins par souci d’optimisation fiscale. Les performances économiques des opérations et des entités apparaitront plus clairement, permettant une meilleure prise de décision par les chefs d’entreprises.

Considérant que les sociétés mères ont tendance à vouloir déclarer leurs bénéfices au niveau de leur siège, considérant aussi que le plus souvent, nous avons affaire à des filles burkinabè, les entreprises mères étant étrangères, la mise en place du dispositif de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme devrait être favorable aux recettes fiscales du Burkina Faso et à sa sécurité.

 

Pied de page

1– Tax Avoidance in Sub-Saharan Africa’s Mining Sector

2  Voir art 66-1) du CGI

3– Sur la déclaration des bénéficiaires effectifs, voir notre article paru dans le n°428 de L’Economiste du Faso du 28 février 2022

4– Voir notre article « loi de finances 2022, Ce qu’il faut retenir », publié dans L’Economiste du Faso du 21 février 2022

5– Imprimé décliné par l’arrêté n°2022-0101/MEFP/SG/DGI portant fixation du contenu et format de la DAPT du 15/04/2022

6– Art. 757 du CGI

7– Art. 99 du CGI

8– Art 575 du CGI

9– Art. 99-3 du CGI, voir aussi arrêté n°2018-211/MINEFID/SG/DGI portant modalités d’application de l’obligation documentaire en matière de prix de transfert

10– Arrêté n°2022-0102//MEFP/SG/DGI portant fixation du contenu et format de la DAPT du 15/04/2022

11– Art. 757 du CGI

12– Cf. voir notre article paru dans L’Economiste du Faso n°428  du 28 février 2022

13– Pour les entreprises extractives, le seuil est plus contraignant, car sont concernées les détentions de moins de 25%. En effet, sont bénéficiaires effectifs, les détenteurs individuels des parts les plus importantes, quoique inférieures à 25%, mais dont le cumul atteint 25% + 1 action.

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RAF
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