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Des mesures de redressement du Burkina sous tension: économique, sécuritaire, sanitaire et humanitaire

L’analyse des agrégats budgétaires en 2021 montre que le Burkina n’a pas pu respecter l’essentiel des critères de convergence de l’UEMOA. En effet, selon les estimations de l’UEMOA :
-le déficit budgétaire (dons compris) rapporté au PIB nominal qui représentait 5,1% est au-dessus de la norme de 3% minimum ;
– le taux d’inflation annuel moyen (IHPC) ressortait 3,6%, contre une référence communautaire de l’ordre de 3% minimum ;
-la masse salariale s’élevait à 59,1% des recettes fiscales, contre une norme référentielle de 35% minimum.
Les perspectives économiques sur la période 2022-2023 indiquent que le Burkina ne pourra pas respecter ces critères. L’explication de cette projection réside dans la conjoncture économique internationale marquée par la guerre en Ukraine avec son corollaire de hausse des prix de certains produits tels que le pétrole et certaines denrées alimentaires. Elle réside également dans la persistance de la crise sécuritaire dont les effets sont, entre autres, une crise humanitaire sans précédent, la baisse de la production agricole et la récente fermeture de la mine russe Taparko. Ces crises vont inexorablement aggraver les tensions inflationnistes, induire une baisse des recettes et une augmentation des dépenses budgétaires due aux mesures d’atténuation (subvention des hydrocarbures et des biens de première nécessité) y relatives qui s’imposent au gouvernement.

On peut s’interroger à juste titre sur les possibilités d’atteindre les objectifs stratégiques de la feuille de route du gouvernement dans le contexte actuel de triple crises sanitaire, sécuritaire et humanitaire sans dégrader davantage les équilibres financiers. En somme, le défi auquel font face les autorités actuelles se pose en ces termes : comment trouver les ressources nécessaires pour juguler ces crises tout en veillant à maîtriser les déficits publics. La question est d’autant plus préoccupante que le Burkina est dans le collimateur des partenaires techniques et financiers qui sont pourtant regardants vis-à-vis de ces critères.

Les leviers sur lesquels le Burkina peut agir pour contenir ces déficits tout en garantissant un financement adéquat de la feuille de route du gouvernement peuvent se reposer sur les points suivants :
Le recouvrement des recettes ;
La réduction des dépenses ;
La dette publique.

L’accroissement des recettes
Une augmentation des taux et/ou montants des impositions ou, dans une certaine mesure, un élargissement de l’assiette pourrait être envisagé, puisque le Burkina n’a pas encore atteint le seuil minimum exigé au niveau communautaire. En effet, le taux de pression fiscale en 2021 a été estimé à 14,8%, contre une norme de 20% minimum au titre des critères de convergence de l’UEMOA.
Toutefois, les difficultés économiques que connaît le pays, dues notamment à la guerre en Ukraine, à l’insécurité et à la Covid-19 se prêtent mal à un tel exercice. Il faudrait s’attendre à des révoltes et des protestations comme celles de 2006 sur le port des casques. A moins que l’essentiel de ces réformes ne portent que sur les ménages et les entreprises les plus aisés comme celles expérimentées ces dernières années par la Direction générale des Impôts (DGI), à travers, notamment, la loi N°042-2018/AN portant loi de finances pour l’exécution du budget de l’Etat, exercice 2019, qui a consacré, entre autres, les réformes suivantes :
– Élargissement du champ d’application de la taxe sur les plus-values de cessions de titres miniers ;
– La création de la taxe sur les véhicules à moteur ;
– Rehaussement du taux de la taxe spécifique sur les produits de la parfumerie et des cosmétiques ;
– Rehaussement du montant du prélèvement sur les billets d’avion.
Certes, de telles augmentation de taux et/ou montant et de création d’impôts parce qu’elles touchent les entreprises et les ménages les plus aisés peuvent être envisagées par le gouvernement sans de vives protestations de la part des populations; mais il faudra observer la plus grande prudence pour éviter que certaines entreprises tirent parti de la concurrence fiscale au niveau communautaire pour assurer la délocalisation de leur production ou de leur siège, le placement à l’étranger de leurs réserves financières et de trésorerie. A cela, il faut craindre une réticence des nouveaux investisseurs à investir au Burkina.
En outre, de telles mesures risquent de provoquer des grincements de dents, eu égard au rapport conflictuel à l’impôt qu’entretiennent les Burkinabè, en général. Ce rapport conflictuel tire sa source dans l’idée de la puissance et de la contrainte que recouvre l’impôt. Les Burkinabè ont à l’esprit que l’impôt est l’expression de la domination de la puissance publique. Le souvenir laissé par l’administration coloniale, à travers le recouvrement de l’impôt de capitation, constituerait une autre explication à cette assertion. A titre illustratif, on peut se référer aux difficultés qu’ont les agents sur le terrain d’assurer le recouvrement des recettes. Ces difficultés se traduisent par des agressions et des menaces de mort. Certaines zones, en témoigne le marché central de Ouagadougou, sont inaccessibles par les agents de recouvrement ou si elles sont accessibles, les contribuables refusent que ceux-ci soient accompagnés des forces de l’ordre (cas du marché de Dédougou—).
L’alternative qui s’offre au régime en place est le renforcement des capacités opérationnelles des grosses régies de recettes (DGI, DGTCP et DGD) en vue d’une mobilisation accrue des recettes. Il serait judicieux d’éviter les épisodes des années 2017-2019 au cours desquelles régnait un grand malaise entre le ministre et les syndicats. En effet, durant cette période sensible de Transition, il n’est nullement indiqué de mettre à dos les financiers au risque d’ouvrir un autre champ de bataille en plus de celui de la pénible lutte contre le terrorisme. En tout état de cause, notre pays n’a pas d’autres choix que de maximiser le recouvrement des recettes propres, eu égard à la contraction des financements extérieurs et à la méfiance des bailleurs de fonds vis-à-vis des autorités actuelles. Ainsi, l’accent doit être mis dans la poursuite des efforts de déconcentration, d’équipement et de digitalisation des structures en charge du recouvrement. Cela rentre en droite ligne du dernier rapport d’exécution de la surveillance multilatérale de l’UEMOA dont une des recommandations fortes est l’optimisation des recettes budgétaires internes à travers l’amélioration des performances organisationnelles de l’administration fiscale.

La réduction des dépenses
Il faut se convaincre que l’allocation des dépenses se rapportent à des privilèges ou avantages accordés. Réduire les dépenses signifie qu’il faut toucher aux avantages des uns ou des autres. La pilule passe difficilement, c’est pourquoi, dans l’entendement de la plupart des Burkinabè, la réduction du train de vie de l’Etat doit se résumer à la réduction du niveau de vie des membres du gouvernement et des députés. Les autorités actuelles, en réduisant le nombre des membres du gouvernement et du Parlement, sont en phase avec les citoyens.

Toutefois, de telles réformes ne sont pas suffisantes pour permettre de répondre à la préoccupation principale des autorités actuelles qui doivent financer l’effort de guerre sans que les déficits publics soient dégradés dans un contexte de retrait et d’attentisme des partenaires au développement.
Pour y parvenir, les gouvernants actuels doivent alors mener des réformes administratives profondes, à travers une rationalisation des structures publiques telles que les Etablissement publics de l’Etat (EPE), les autorités administratives indépendantes (institutions de la République) et certaines unités de l’administration centrale d’Etat.
En effet, l’administration publique burkinabè se caractérise par une pléthore des institutions administratives indépendantes (Médiateur du Faso, Haut Conseil du dialogue social, etc.), des EPE et des « petites » régies (de recettes et dépenses) qui revendiquent chacune des ressources pour leur fonctionnement. Il faudra alors s’orienter vers soit des fusions et/ou absorption de certains de ces organismes, soit une suppression de ceux dont l’existence pose un problème de pertinence ou de valeur ajoutée à l’action administrative.
Concernant les EPE, on peut s’inspirer des exemples de fusions au niveau des ministères en charge de la santé (fusion de plusieurs structures de santé donnant lieu à la création de l’Institut national de santé) et de l’éducation (création de l’Institut de formation en personnel de l’éducation sur fusion des ENEP). En plus de la fusion, une rigueur doit être observée dans la création de ces entités qui doit obéir aux procédures y relatives, en vue de mettre fin définitivement à la naissance d’établissements sur la base d’injonctions politiques comme ça a été le cas de par le passé.
Au titre de l’administration centrale, la tendance est la création de régies (de recettes ou d’avances) dans toutes les unités administratives. Si les régies ont pour vocation de rapprocher les usagers des services publics (réseau des comptables publics notamment), il convient de rationaliser le secteur par la fusion des petites régies qui engendrent plus de dépenses qu’elles n’accroissent véritablement le service rendu aux usagers. En effet, il y a des régies de recettes qui ne peuvent faire rentrer dans les caisses de l’Etat que des recettes atteignant à peine 100 000 francs par an. Pourtant, cette somme est loin des dépenses liées au carburant trimestriel du régisseur, aux fournitures de bureau, à la prise en charge des inspecteurs techniques chargés de les contrôler, pour ne citer que ceux-là. C’est pourquoi, dans les bâtiments abritant plusieurs structures administratives d’un même ministère, il serait rationnel de fusionner les régies de recettes pour n’en faire qu’une. Au titre des régies d’avances, on peut envisager la fusion des régies d’un ou de plusieurs ministères, logées dans un même bâtiment administratif.
Autre mesure à prendre par le gouvernement en vue de disposer de marge de manœuvre dans la conduite de sa feuille de route est la réduction de la dépense fiscale. En effet, l’État est confronté à la difficile conciliation entre la prise en compte des spécificités des secteurs stratégiques, des vulnérabilités de certains contribuables et l’augmentation des recettes. En effet, leur caractère sensible impose au législateur de prévoir des dispositions d’exonération ou d’exemption dont le coût pour l’Etat constitue les dépenses fiscales. En effet, les dépenses fiscales sont des dispositions législatives ou règlementaires qui dérogent à une « norme fiscale ».
Ces dérogations constituent un enjeu fiscal important, dans la mesure où elles réduisent les recettes de l’Etat et constituent donc un coût pour le Trésor,. (Rapport: hausse des dépenses fiscales en 2021 (lesiteinfo.com)
Selon le rapport sur l’évaluation de la dépense fiscale en 2020, on dénombre 795 mesures y relatives avec une incidence financière qui se chiffre à 110,28 milliards FCFA. Le gouvernement devrait revisiter les conditions et les modalités d’octroi des exonérations et autres réductions de taux ou d’impôt en vue de réduire au mieux la dépense fiscale ; même si le caractère sensible de ces mesures fait douter de la possibilité d’une réduction importante desdites dépenses. En effet, pour l’essentiel, elles visent à encourager l’investissement (66,8%), la coopération internationale (16,9%), à soutenir le pouvoir d’achat des ménages pour (9,7%) et les autres secteurs stratégiques tels que la promotion des PPP, de l’énergie solaire, les facteurs de production et le secteur de la santé (6,4%).
Nabsaad (Correspondance particulière)
25-Avril-2022

 

Encadré

La dette publique

Le niveau de la dette publique du Burkina Faso demeure acceptable, puisque le ratio dette/PIB représente 52,6%, contre une norme d’endettement de l’ordre de 70% minimum. Notre pays dispose donc d’une large possibilité d’endettement, toutefois, le contexte économique national et international impose une priorisation accrue des ressources d’emprunts concessionnels. Toutefois, la crise due à la guerre en Ukraine ainsi que l’évolution politique du moment marquée par la méfiance des investisseurs, ces ressources pourraient connaître une contraction. C’est pourquoi, l’alternative la plus sûre reste le financement par des ressources non concessionnelles et le recours au marché financier régional. Cependant, au regard de leur coût relativement élevé, ces types de financement doivent être orientées vers le financement de projets à forte valeur ajoutée de telle sorte que leur remboursement n’aggrave pas les déséquilibres financiers du pays.
En outre, le pays peut envisager le reprofilage de sa dette qui est un mécanisme qui contribue à réduire sa valeur actuelle nette, soit par une baisse des intérêts, l’allongement de la maturité, soit par le remboursement des anciennes dettes par de nouvelles contractées à des taux souples. Pour ce faire, il peut s’inspirer des exemples d’autres pays comme le Togo, en vue de s’engager vers des crédits combinés avec des mécanismes d’assurances commerciales ou de garanties, qui sont des facilités, en termes de couverture de risque, offertes par des institutions spécialisées. L’Agence du commerce en Afrique (ACA) que le Burkina a rejoint en fin 2021 en est un exemple. 

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