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Prise en charge des personnes déficientes mentales: l’État à la traine

Adama Ouédraogo, président de l’Association « Sauvons le reste »

«Ah toi ! Je te connais, je te connais plus que toi tu ne me connais ». Nous n’avions même pas encore dit un mot, que Zalissa (nom d’emprunt) entamait la discussion. Son sourire est éclatant et, sous ses traits défraîchis, des restes de sa beauté d’antan se devinent aisément. Elle habite au quartier N°13 de la ville de Ouahigouya, à 180 km au nord de la capitale Ouagadougou.
Zalissa Ouédraogo est une personne déficiente mentale. Elle a été recueillie par la famille de son oncle paternel depuis 8 ans maintenant, et est suivie régulièrement par l’association « Sauvons le reste ». Cette association est impliquée dans la prise en charge de ce type de pathologie.
« Je lui ai construit sa propre maison, elle a de l’eau pour se laver, de la nourriture, même si je ne peux pas lui donner de la viande tous les jours, elle mange ce que nous mangeons », explique M. Ouédraogo, le tuteur biologique de Zalissa. Mais, tout n’est pas rose dans la vie de cette famille d’accueil. « Nous n’en pouvons plus. Je m’en occupe, mais c’est une folle têtue. Elle refuse de se laver et de prendre ses médicaments. Elle a creusé un trou dans sa chambre où elle fait ses selles, pourtant les toilettes sont à 10 pas de sa porte », se plaint le père de famille.

En effet, en dehors de son sourire attachant, tout en Zalissa repousse. Ses cheveux courts et grisonnants sont sales et commencent à onduler comme des tiges de petit mil. Ses ongles sont longs et crasseux, l’on ne distingue plus les couleurs de sa tenue de sport. Le logo du fameux club de Barcelone a cédé la place à de la boue, de la bave, des restes de nourritures. Sur le pantalon, se dessinent aisément des traces d’urines, de selles, mais pas que. De longs filets rouge-sombre forment une sorte de cours d’eau sur le long du vêtement. Il s’agit du sang de ses cycles. Pendant ses périodes, le sang coule et se dépose sur l’entrejambe du pantalon, puis forme des cercles autour de l’arrière et à l’avant du vêtement. Ayant fait presque deux mois sans se laver (selon les confidences de sa mère adoptive), ce sang s’est séché et l’ensemble dégage une odeur qui vous monte à la gorge.

Abandonnés, reclus, enchaînés, …
Pourtant, malgré ses déboires, le vieux Ouédraogo s’occupe toujours de sa filleule et ne la laisse jamais sans surveillance. Pourquoi ? « Nous la surveillons et nous nous assurons qu’elle ne va jamais loin. Dehors, elle est la cible de personnes encore plus « folles » qu’elles. Celles-ci nous la prendraient, soit pour coucher avec elle, soit pour la tuer afin de satisfaire à des rituels. Il s’agit de mon sang, elle est la fille de mon petit frère, même si sa vie est dure, je ne peux pas la laisser aller à sa guise ».
Une explication qui rappelle la dure condition de ces personnes déficientes mentales qui errent dans la rue. Elles sont exposées quotidiennement à la soif et à la faim, aux conditions climatiques difficiles, au rejet et à la stigmatisation constante de la population. Elles sont aussi exposées aux viols et autres abus sexuels. Pire, comme le vieux Ouédraogo l’expliquait, elles peuvent être tuées et leurs organes serviraient aux trafics de tout genre.
La peur de perdre « le sang de son sang » ou de la retrouver enceinte avec des charges encore plus importantes pousse ce père de famille à garder Zalissa sous sa coupe. Beaucoup n’ont pas cette chance.
Qu’est-ce qui pousse certains hommes à coucher avec les malades mentales ? Adama Ouédraogo, président de l’association « Sauvons le reste », chargée de la prise en charge des personnes souffrantes de maladies mentales, commente : « Pour certains Burkinabè, faire l’amour avec une femme malade mentale favoriserait l’apport de richesses. Cette croyance provoque un nombre important de viols de femmes qui dorment dans les rues ». Ces viols, très souvent suivis de grossesses non désirées et non accompagnées, sont à l’origine dans de nombreux cas de la naissance d’enfants de rue qui grandiront la plupart du temps dans des conditions déplorables. Quelles sont les dispositions légales prises pour encadrer ces folles et leur sexualité ? Les hommes qui abusent d’elles sont-ils poursuivis ? Que deviennent les enfants issus de ces relations sexuelles forcées ?

Discrimination dans la prise en charge ?
Dans la ville de Ouahigouya, où nous avons séjourné du 18 au 20 avril 2021, nous n’avons pas eu réponses à nos questions. Dans un entretien avec le 1er conseiller à la Mairie de la ville, chargé des affaires sociales et culturelles, ce dernier avoue les limites de la structure qu’il représente. « La Mairie n’a aucun budget ni aucune disposition pour la prise en charge des personnes déficientes mentales. Nous travaillons avec l’Action sociale, mais aucune ligne budgétaire n’est allouée à ces personnes », déclare M. Konseibo.

Rien donc du côté de Ouahigouya, qu’en est-il des dispositions nationales ?
Le Burkina Faso a ratifié la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) le 23 juillet 2009. Ce dispositif juridique et institutionnel a été renforcé par l’adoption de la loi n° 012-2010/AN du 1er avril 2010 portant protection et promotion des droits des personnes handicapées et la création de nouvelles institutions, notamment, le Conseil national multisectoriel pour la protection et la promotion des droits des personnes handicapées, en abrégé « COMUD/Handicap ».
Pour plus d’éclaircissement, nous avons adressé une demande d’information au ministère en charge de l’action sociale. Nous nous interrogions sur l’existence de structures étatiques s’occupant de la prise en charge des personnes déficientes mentales, ainsi que les modalités de prise en charge.
« Je voudrais porter à votre connaissance que mon département ne dispose pas pour le moment, d’un service spécifique affecté à la prise en charge de ce type de handicap », a expliqué la ministre Laurence Marshall, dans sa réponse.
Nous demandions spécifiquement quelles actions mène le COMUB/Handicap en matière de prise en charge des personnes déficientes mentales. « Pour ce qui est du Conseil national multisectoriel pour la protection et la promotion des droits des personnes handicapées que vous aviez préalablement identifié, il s’agit d’une instance de coordination de la mise en œuvre des actions en faveur de la protection et de la promotion des droits des personnes handicapées », précise la lettre. « Toutefois, vous pourriez prendre attache avec le Fonds national de solidarité qui accorde des subventions à certaines structures de prise en charge des personnes souffrant de ces types de pathologies », poursuit la ministre dans le document.
Ainsi donc, le COMUB/Handicap, censé protéger les personnes handicapées, ne prend pas en charge le volet « déficience mentale », du moins directement. Pourquoi cette distinction et ou discrimination ? Une chose est sûre, ce n’est pas faute de moyens. Explications : pour la mise en œuvre et le suivi de la CDPH, le gouvernement alloue chaque année, des crédits budgétaires aux différents départements en charge du handicap. Le SP/COMUD/Handicap a, depuis sa mise en place, reçu des fonds budget de l’État.

Dans les dépenses liées au Budget national du projet de loi de finances 2021, nous avons découvert dans la section 22 dédiée au ministère de l’Action Sociale, des dépenses liées au COMUB/Handicap. Dans l’Action 05003 dédiée à la protection et promotion des personnes handicapées, on constate une ligne de crédit de paiement pour 2021 à 2023. Pour 2021, le montant des dépenses est de 600 millions FCFA, dont 570 millions prévus pour la rémunération du personnel et 30 millions pour « apporter un appui financier au SP/COMUD ».

Qu’en est-il du Fonds national de solidarité 
La ministre nous a conseillé d’adresser une demande au FNS, chose que nous avons faite. Malgré les relances, aucune réponse ne nous est parvenue jusqu’à présent. Ce Fonds bénéficie pour 2021 d’une ligne de crédit de 400 millions FCFA en guise d’appui financier. L’on peut considérer que la prise en charge financière des personnes déficientes mentales n’est pas encore clairement inscrite dans l’agenda du ministère.

« Je veux revoir mes enfants »
L’espoir ne viendra donc pas de l’État. Il faut se diriger vers les structures privées, non étatiques. Parmi elles, figure en bonne place Christoffel Blinden mission (CBM), qui a accompagné la mise en œuvre du Projet « santé mentale pour tous » dont l’objectif est « d’améliorer la qualité de vie des personnes ayant des maladies mentales et celle de la population, en général, en réduisant les risques de maladies mentales à travers l’accès à un continuum de soins, le respect des droits humains et une plus grande inclusion ».
La première phase a été mise en œuvre de 2014 à 2017 dans six régions du Burkina Faso, à savoir : la Boucle du Mouhoun, le Centre-Nord, le Centre-Sud, le Centre-Est, le Plateau central et le Sud-Ouest.
Christoffel Blinden mission (CBM) porte aussi le projet « seconde chance SAULER », mis en œuvre dans la région du Nord.
A travers son projet de prise en charge et de réinsertion socioéconomique des personnes handicapées psychosociales vivant dans la rue dans la ville de Ouahigouya, « Sauvons le reste » comble un vide laissé par les institutions gouvernementales. Un centre d’accueil et de transit a été construit dans un cadre aménagé, non loin de la ville, afin d’accueillir les personnes handicapées psychosociales identifiées. Entre 2016 et 2018, plus de 186 patients y ont été reçus. L’activité de cette association s’étend aussi à travers la sensibilisation et le plaidoyer. Ce plaidoyer auprès des autorités sanitaires vise à la mise à disposition des psychotropes jusqu’au niveau décentralisé de la chaîne des structures de santé.
L’on peut considérer que la prise en charge financière des personnes déficientes mentales n’est pas encore clairement inscrite dans l’agenda du ministère, mais pas que.
L’on pourrait penser que le centre psychiatrique de l’hôpital Yalgado et le Trypano de Bobo-Dioulasso seraient des maisons d’accueil pour ces malades errants. Hélas, les règles y sont clairement établies. Les « fous » errants, sans accompagnants, ne sont pas les bienvenus, d’autant plus qu’il faut pouvoir honorer les frais d’ordonnance et les frais d’hospitalisation. Quant aux Mairies, l’exemple à Ouahigouya montre qu’aucune ligne budgétaire n’est prévue pour la prise en charge de ces personnes. Sans oublier le nombre insuffisant d’agents de santé mentale dans les centres de santé (NDRL : lire encadré).
D’autres structures œuvrent aux côtés de celle de Ouahigouya. Dans le Namentenga, l’Association pour le développement intégré Guesbéogo (ADIG) s’occupe de plus de 360 personnes souffrant de divers troubles mentaux. Nous avons contacté son premier responsable, au téléphone, le 13 décembre 2021. Blaise Sandwidi nous affirmait que sa structure recevait une aide de la part de l’Action sociale. Il s’agit plus de dons en nature (vêtements, nourriture et nattes). « Nous recevons de l’aide par à-coups de la part de l’Action sociale ». A la question de savoir la fréquence de ces dons, ce dernier affirme qu’elle est octroyée une fois par an. « L’année passée, on nous avait promis des vêtements, mais avec la situation de la maladie Covid-19, nous n’avons pas pu recevoir les dons. C’est cette année que nous avons pu obtenir les habits. Il s’agit d’une tonne de vêtements seconde main », a-t-il affirmé au téléphone. Le lendemain de notre conversation téléphonique, M. Sandwidi a tenu à rajouter à ses propos que son association a bénéficié d’une aide financière ponctuelle du ministère en charge de l’action sociale de 600.000 FCFA. « Avec les difficultés rencontrées actuellement entre la Covid-19 et les personnes déplacées internes, nous comprenons que l’aide ne nous suffise pas. Mais si je devais lancer un SOS, c’est pour nous aider à la construction et l’équipement de notre centre », a-t-il affirmé au téléphone, dans la soirée du 14 décembre 2021.
L’association Maymoundi, qui fait la promotion socioéconomique, sanitaire et culturelle des enfants et des personnes ayant une déficience mentale légère ou souffrant de troubles du comportement, à l’Est du pays, a aussi été contactée. Nous sommes toujours en attente de son retour.o
NK

Encadré

25.014 personnes déficientes mentales recensées

Suivant le recensement général de la population et de l’habitation (RGPH) réalisé en 2006, le Burkina Faso comptait, à l’époque, 168.094 personnes handicapées sur une population totale de 14.017.262 habitants, soit un taux de 1,2 % de personnes handicapées. Suivant le type de handicap, les incapacités prédominantes sont le handicap du membre inférieur, la déficience visuelle, le handicap mental, la déficience auditive et le handicap du membre supérieur. Les personnes souffrant de déficience mentale étaient estimées à 25.014, soit 14,9 % des personnes handicapées.
Le tableau ci-après donne un récapitulatif de la population de personnes handicapées suivant la nature du handicap.

Nature du handicap Effectifs Taux (%)
Membre inférieur 44.447 26,4
Déficience visuelle 29.414 17,5
Déficience mentale 25.014 14,9
Déficience auditive 20.447 12,2
Membre supérieur 13.893 08,3
Autres 34.879 20,7
Total 168.094 100

Enquête réalisée par Sandrine SAWADOGO avec l’appui de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO)

 

Encadré 2

De l’urgence de la prise en charge

Selon le Plan stratégique santé mentale (2020-2024), la prise en charge sanitaire des personnes déficientes mentales n’est pas optimale. Le document, publié en 2019, évoque une insuffisance et une mauvaise répartition des ressources humaines en santé mentale. A cela s’ajoute une insuffisance de couverture totale du pays en structures de soins de santé mentale. En outre, les médicaments génériques pour la prise en charge des maladies mentales ne sont pas disponibles en permanence au niveau des structures et les spécialités sont inaccessibles financièrement pour la plupart des patients. En dépit des initiatives entreprises en matière de communication, l’accès à l’information dans le domaine de la santé mentale reste limité.
Cette situation a pour conséquences une faible accessibilité des groupes vulnérables, entrainant une augmentation de la morbidité, de la mortalité et des handicaps en leur sein.
Le document indique en plus que 41 % de la population générale âgée de 18 ans et plus a souffert d’au moins un trouble mental. Une situation qui s’empire avec la propagation de la consommation des substances psychoactives (SPA) dans la population, en général, et en particulier chez les jeunes, et la prolifération des sites d’exploitation artisanale de l’or avec les conséquences en termes de regroupements spontanés des populations vivant dans la promiscuité, la consommation de substances psychoactives et la prostitution.
Pire, si les prestations de service de santé mentale sont réalisées au niveau des CSPS, CMA et CHR répartis sur le territoire national, il faut noter cependant que les CSPS qui sont les premiers points d’accès au système de santé n’offrent pas assez de soins de santé mentale. Les soins de santé mentale ne sont offerts qu’à partir du CMA et CHR et ne couvrent pas non plus tous les CMA, car tous ne disposent pas d’Attachés de santé en santé mentale. En effet, en 2018, sur 70 districts, 31 disposent des CMA / CM qui offrent des soins en santé mentale. Les soins psychiatriques dispensés par les psychiatres ne sont disponibles qu’à Ouagadougou, Bobo-Dioulasso et Ouahigouya.
On dénombre en termes de professionnels de la santé mentale, 11 médecins psychiatres, 86 infirmiers spécialisés en santé mentale, 5 psychologues, 10 neurologues exerçant dans les structures publiques.

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