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Financement du terrorisme: une partie proviendrait des flux financiers illicites

Le 3 octobre 2019, une patrouille des éléments de la Force conjointe du G5 Sahel a découvert une importante cache d’armes dans une grotte sur le territoire nigérien. (Ph: Yvan SAMA)

Les Flux financiers illicites (FFI) proviennent de 4 grandes catégories que sont les pratiques fiscales et commerciales, les marchés illégaux, les activités relevant du vol et financement du terrorisme et la corruption. Ces informations émanent du rapport 2020 sur le développement économique en Afrique sur les « Flux financiers illicites et le développement durable en Afrique », publié par la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED).

Quel est le lien entre le FFI et le financement du terrorisme ?

Lorsque les actes de corruption, de détournement de fonds, d’abus de fonction, de trafic d’influence, d’enrichissement illicite, etc. génèrent directement ou indirectement des flux qui traversent les frontières d’un pays, ils sont comptabilisés comme FFI. Le financement du terrorisme ou de la criminalité se traduit par le transfert illicite et volontaire de ces fonds en vue de financer des activités criminelles ou terroristes.

Les menaces contre la paix et la sécurité en Afrique sont de plus en plus complexes, mais il est difficile de déterminer quelle est la proportion des flux ayant pour sources des activités illicites  destinées à financer un conflit ou le terrorisme. L’analyse des incidences des FFI sur le financement du terrorisme et des conflits est entravée par le défaut de données.

Sur le continent africain, le nombre de pays touchés par des conflits est passé de 14 en 2017 à 17 en 2018, soit le deuxième le plus élevé depuis 1946. Le total des décès provoqués par les combats a été estimé à près de 15.000 pour 2018.

Le commerce illicite et la prolifération des armes, en particulier, légères et de petit calibre, ainsi que l’exploitation, le trafic et le commerce illicites de ressources naturelles de grande valeur exacerbent ces conflits.

Sur les sites d’orpaillage, s’ils n’exploitent pas eux-mêmes l’or, les terroristes et leurs complices achètent l’or ou perçoivent un impôt sur les activités qui s’y mènent. (Ph: YVAN SAMA)

Les FFI contribuent au financement du terrorisme en Afrique, selon l’Organisation internationale de police criminelle (2018) qui indique que de fortes raisons existent de penser que les opérations menées par des terroristes armés en Afrique sont financées par le produit d’activités de la criminalité organisée transnationale, notamment, la traite des êtres humains, le trafic de drogues, d’objets culturels, de véhicules automobiles volés et de diverses marchandises illicites et le braconnage.

L’exploitation illicite des ressources naturelles, en particulier, l’or, les diamants, le pétrole, le charbon, d’autres minéraux, le bois et les espèces sauvages, ainsi que la taxation illégale, la confiscation et le pillage assurent au total 64 % du financement des atteintes à la sécurité et des conflits. On estime, en outre, que sur les 31,5 milliards de dollars de FFI générés chaque année dans les zones de conflit, 96 % (soit 30,24 milliards FCFA) sont utilisés par des groupes criminels organisés, notamment, pour alimenter des conflits violents.

2 milliards de dollars d’or exploité par les terroristes au Burkina Faso, au Mali et au Niger

La dimension transfrontalière des FFI est très marquée dans le Sahel. INTERPOL et l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime (ONUDC) s’attaquent au trafic d’armes à feu en Afrique de l’Ouest et dans le Sahel. Ils ont mené une opération conjointe dénommée KAFO II du 30 novembre au 6 décembre 2020. Outre l’arrestation de plusieurs terroristes présumés, cette opération a permis de saisir 50 armes à feu, 40.593 bâtons de dynamite, 28 cordeaux détonants, 6.162 cartouches, etc. dans des aéroports et des ports maritimes ainsi qu’à des frontières terrestres au Burkina Faso, en Côte d’Ivoire, au Mali et au Niger.

La contrebande de l’or concerne surtout des produits de grande valeur pour un faible poids. Le risque de contrebande s’accentue en cas de hausse rapide de la demande de substances minérales rares et les pays riches en telles substances devraient donc avoir pour priorité de renforcer la gouvernance dans ce secteur et de faire procéder aux études géologiques exhaustives requises.

Le Burkina se trouve confronté à des menaces liées à des combattants terroristes étrangers et à d’autres acteurs non nationaux qui peuvent facilement entrer et sortir du pays en raison de la porosité des frontières, et circuler librement au Sahel. Depuis 2016, le Burkina Faso est confronté à des attaques terroristes répétées, tant dans la capitale qu’à l’intérieur du pays. Ces attaques incluent aussi bien des terroristes étrangers en provenance de pays voisins que des nationaux.

Le pays reconnait qu’il compte sur son territoire, des nationaux qui sont allés se former à l’extérieur dans des zones de conflits (Nord du Mali, en Libye) et qui sont de retour au pays. Le cas le plus connu est celui du nommé Ibrahim Malam Dicko, fondateur du Mouvement Ansaroul Islam. Tué en 2017, son frère Jafar Dicko fait depuis lors office de nouveau leader du Mouvement Ansaroul Islam, au Burkina Faso. La récente attaque d’un site d’orpaillage qui a causé la mort de 132 personnes est l’œuvre de groupes terroristes. L’exploitation artisanale de l’or alimente le terrorisme de plusieurs manières. Dans les sites d’orpaillage, les terroristes perçoivent un impôt sur les activités. Dans la région de l’Est du Burkina Faso, les terroristes ont exploité eux-mêmes l’or qu’ils commercialisaient avant que l’opération militaire Otapuanu les chasse de cette zone. Le gouvernement a été contraint de fermer les sites artisanaux d’exploitation de l’or dans plusieurs régions du pays.

Sur certains sites d’exploitation au Sahel, comme à Belehoulé et Kéréboulé, les terroristes et leurs complices achetaient l’or à des prix très bas.

La valeur de l’or exploité artisanalement par les terroristes serait de 2 milliards $ au Burkina Faso, au Mali et au Niger. Les mines d’exploitation artisanale sont à la fois une cachette et un trésor, des fonds pour recruter de nouveaux membres et acheter des armes, selon le Journal Reuters du 22 novembre 2019.

125 personnes soupçonnées de terrorisme et recherchées en 2019

Le risque de financement du terrorisme au Burkina est élevé en raison de la  grande vulnérabilité générale du système financier, selon le rapport d’évaluation mutuelle du Burkina Faso publié par le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (GIABA) en mai 2019. Les menaces posées par l’ensemble de ces acteurs et leur possibilité à recruter des jeunes marginalisés dans la partie Nord du pays ainsi que la supervision limitée du secteur des organisations à but non lucratif laisse présager un risque significatif de financement de terrorisme. De plus, le cadre juridique burkinabè est inadéquat, dans la mesure où la loi ne couvre pas le financement d’un terroriste individuel ou d’une organisation terroriste à toutes fins. Il s’agit là d’une lacune importante. Le GIABA a été informé de l’existence d’une liste des 125 personnes soupçonnées de terrorisme et recherchées en 2019. Aussi, il a été fait mention d’une autre liste de personnes dont certaines sont en prison.

L’Agence nationale de renseignement (ANR), créée en janvier 2016, est le principal organe chargé des affaires liées aux activités de terrorisme et de financement du terrorisme. L’ANR joue le rôle d’organe de coordination et veille à ce que les autres autorités compétentes chargées de la lutte contre le financement du terrorisme, notamment, la Gendarmerie, la Police nationale échangent des informations et des renseignements sur le terrorisme et son financement. Bien que les types de risques de financement du terrorisme soient bien compris, le Burkina Faso a engagé des poursuites mais n’a pas encore obtenu de bons résultats.

Entre 2015 et le 22 mars 2018, les autorités ont arrêté 256 présumés terroristes qui ont tous été inculpés de diverses infractions, notamment, le terrorisme et le financement du terrorisme. Selon GIABA, au total, 80 dossiers ont été ouverts dans ces affaires. Le financement du terrorisme est identifié par le biais de déclarations d’opérations suspectes faites par des entités déclarantes. Les services d’enquête et de poursuite détectent également les transactions dans le secteur informel relatives au financement du terrorisme. Les autorités indiquent également que des cas de financement du terrorisme ont été identifiés sur la base d’informations, dans le cadre de la coopération nationale et internationale.

La lutte contre le financement du terrorisme passe par les échanges de renseignements entre pays. A ce propos, le Burkina a soumis à d’autres pays des demandes d’informations liées au financement du terrorisme dans au moins 8 cas différents. Le pays a également sollicité une entraide judiciaire. Le pays a noté que certaines des enquêtes avaient abouti à l’identification des rôles spécifiques joués par ceux qui avaient financé l’acte terroriste.

En 2019, GIABA a relevé que 5 rapports spontanés de renseignements avaient été produits. Trois demandes de renseignement sur 03 comptes étrangers ont été formulées pour permettre aux autorités d’enquêter sur des cas de financement de terrorisme. « Toutefois, ces chiffres soulèvent des doutes quant à la capacité des entités déclarantes à identifier de manière adéquate une activité potentielle de financement du terrorisme », écrit le rapport GIABA.

Elie KABORE

 

Encadré

La Justice traîne les pieds

S’agissant du gel des fonds liés au financement du terrorisme, GIABA note que jusqu’en 2019, aucun fonds n’a fait l’objet de gel de la part du Burkina Faso. Toutefois, les statistiques indiquent que 3 blocages ont été effectués sur des fonds soupçonnés d’être liés au terrorisme, sur la base des soupçons détectés par les institutions financières. Aussi, la somme de 8,290 millions FCFA relative aux enquêtes de financement du terrorisme a été saisie. Cependant, il n›y a pas eu de confiscations parce qu’il n’y a pas eu de condamnations. Ce constat contraste fortement avec le niveau de risque élevé du terrorisme et son financement auquel le pays est confronté et peut conduire à penser que le dispositif de perturbation du financement du terrorisme n’est pas aussi efficace qu’il le devrait. Cette inefficacité supposée du dispositif pourrait s’expliquer par le manque de ressources adéquates à conduire des enquêtes liées au financement du terrorisme.

 

Encadré 1

D’où proviennent les armes qui circulent en Afrique ?

L’Union africaine a lancé l’initiative « Faire taire les armes en Afrique d’ici 2020 ». Selon les données de l’Union africaine, la plupart des armes en Afrique sont importées. Les dépenses militaires officielles en Afrique se sont élevées à environ 40,2 milliards de dollars en 2018, dont 22,2 milliards pour l’Afrique du Nord et 18,8 milliards pour l’Afrique subsaharienne. Les principaux fournisseurs d’armes entre 2014 et 2018 ont été la Russie, la Chine, l’Ukraine, l’Allemagne et la France, et les principaux destinataires ont été l’Égypte, l’Algérie et le Maroc, selon une étude de l’Institut international de recherches sur la paix de Stockholm. La base de données du SIPRI sur les transferts d’armes fournit des informations sur tous les transferts internationaux d’armes lourdes (y compris les ventes, les dons et la production sous licence) aux États, aux organisations internationales et aux groupes non étatiques. 22 pays africains fabriquent également divers types d’armes légères et de petit calibre.

La production d’armes de fabrication artisanale est également répandue sur le continent, ces armes alimentant la criminalité dans certains pays. Si les pays africains peuvent contrôler l’achat d’armes légales, il est difficile de suivre le trafic et les flux illégaux sur le continent. La porosité des frontières et l’étendue des zones côtières permettent aux trafiquants de faire passer clandestinement des armes légères d’un pays à l’autre. La gestion des stocks nationaux d’armes est aussi une source de préoccupation, car l’on veut éviter que ces armes ne tombent entre de mauvaises mains.

Quelles armes ? « Les armes à feu sont les armes les plus populaires sur le continent. Elles causent plus de morts que les bombes, les grenades ou les mines. L’AK-47 est toujours l’outil de mort le plus dangereux en Afrique », déclare Mme Aïssatou Hayatou, responsable des opérations liées au projet « Faire taire les armes à feu » de l’Union africaine.

Elle ajoute qu’une grande partie des armes légalement importées en Afrique sont détournées illégalement en raison de la corruption. Souvent, les stocks gouvernementaux font l’objet de raids, ou bien des militaires ou des policiers sont tués pour leurs armes. Le nombre important d’armes provenant de Libye, qui appartenaient auparavant au régime de Mouammar Kadhafi et qui se sont retrouvées dans le Sahel, est également préoccupant. Nombre de ces armes sont aux mains des groupes terroristes du Nord du Mali.

C’est pour accélérer les mesures prises que l’UA va lancer la campagne à l’échelle du continent intitulée « Faire taire les armes ». Les difficultés qui mènent les gens aux conflits violents, notamment, la pauvreté, les injustices historiques, les inégalités, le chômage, les changements climatiques, les flux financiers illégaux et la corruption doivent également être résolues pour que les armes à feu soient réduites au silence.o

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