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Prison civile de Cotonou : Le journaliste Ignace Sossou va bien !

Il est 11h ce 21 février 2020, lorsque nous arrivons devant la prison civile de Cotonou. Il fait chaud et il y a de l’humide dans l’air, des bruits assourdissants proviennent d’un chantier de construction qui passe devant la prison. Entre poussière, bruits des pelleteuses et autres interpellations des marchands ambulants, nous prenons place sous le hangar en attendant notre tour. Sur des sièges en ciment, dans la longue queue des visiteurs du jour, c’est le silence qui s’impose. Ni la poussière soulevée par les engins en chantier, ni les cris et discussions des ouvriers, ni même les interpellations des vendeuses ne semblent perturber cette attente. L’heure est à la retenue. Comment se porte le prisonnier Ignace Sossou ? Dans quel état physique le retrouverons-nous ?
Après 45 minutes d’attente, c’est notre tour de pénétrer à l’intérieur de la prison. Premier obstacle. «Vous ne pouvez pas rentrer dans la prison en pantalon, il vous faut vous changer», nous fait-on savoir. La raison, ce sont les vendeuses de fruits qui nous la donnent. Selon les explications, le pantalon est considéré comme une tenue sexy et il ne faut pas tenter certains prisonniers. Nous décidons donc de louer un pagne à 100F pour passer le portique de sécurité.
Il faut passer par une antichambre où un garde est assis surveillant les arrivants. Devant nous, se dresse une énorme porte avec un verrou. La porte est entrouverte. Là, il faut montrer patte blanche, pas de téléphone portable, il faut présenter le passeport ou la pièce d’identité, puis subir la fouille dans un espace réservé par genre. Les femmes et les enfants à droite et les hommes à gauche.
Après la fouille, nous voilà de nouveau devant une porte. Celle-ci est minuscule par rapport à la première. De couleur bois, elle ne tient qu’à un gond et est à peine fermée. Mais nul besoin de gardes à ce niveau, puisqu’une guérite est érigée à sa gauche. Il faut donner son numéro de téléphone et le nom du prisonnier que l’on vient voir.
«Nous venons voir Ignace Sossou», disons-nous. «Est-ce une délégation?», «Oui», répliquons-nous. «Asseyez-vous», répond le garde. Nous voilà à quelques mètres d’Ignace, le verrons-nous? Après 5 minutes d’attente, la petite porte s’ouvre enfin nous laissant pénétrer dans l’enceinte de la salle de visite ouverte de la prison civile de Cotonou.
Il faut quelques secondes pour que l’œil s’habitue à la lumière de la salle.
Contrairement à ce que l’on s’attend à trouver, cette antichambre est bruyante. Un vigile vient vers nous, prend le nom de la personne que nous cherchons et l’appelle via un micro relayé à un haut-parleur placé dans l’univers carcéral.
En attendant de le voir, nous jetons un œil aux alentours. Des vendeuses de fruits, des hangars installés avec des bancs en bois pour les familles et les prisonniers, les allers et venues de vendeurs ambulants. Puis le voilà qui sort, sourire aux lèvres, les yeux rivés sur la délégation venue le voir, le menton haut et le regard fier et vêtu du gilet bleu marine, la tenue de prisonnier.
Ignace Sossou va bien! C’est ce que retiendra la vingtaine de journalistes d’investigation venue le voir ce jour-là. Parmi eux, des collègues du Consortium international des journalistes d’investigations (ICIJ), d’où il est membre. Moussa Aksar, Directeur de publication du journal L’Evènement, présent lors de la visite, a affirmé «être serein» quant à la libération de Ignace de prison.
«Je suis ravi de savoir que je compte autant pour vous et que je ne suis pas seul. Je garde le moral et la tête haute parce que je sais que je suis emprisonné injustement ». C’est le message qu’il a demandé de diffuser à tous ceux qui pensent à lui.

67 jours de détention
Ce jour-là, la veille de son 32e anniversaire, cela faisait 67 jours qu’il est incarcéré à la prison civile de Cotonou. Le 19 décembre, Ignace Sossou est arrêté chez lui par la police républicaine. Après quatre jours de garde à vue et une perquisition à son domicile, il comparaît lors d’un procès éclair puis est condamné à 18 mois de prison ferme.
La veille de son arrestation, le journaliste avait posté sur les réseaux sociaux, des propos attribués au Procureur de la République, Mario Metonou, intervenant lors d’un forum organisé à Cotonou par Canal France International (CFI) – l’opérateur de la coopération médias française à destination des pays d’Afrique – pour débattre des «fake news».
C’est avec ces quelques tweets qu’Ignace Sossou se retrouve alors dans le viseur du Procureur. Ce dernier accuse le journaliste d’avoir sorti ses propos de leur contexte et lui enjoint, épaulé par les équipes de CFI, de supprimer ces publications. Ignace Sossou refuse. La suite, une lettre de CFI, traitant le journaliste de «peu scrupuleux» et adressée aux autorités béninoises est brandie pour enfoncer le journaliste. Il a été jugé coupable de «harcèlement par le biais d’une communication électronique», délit instauré dans le Code du numérique.
Depuis son incarcération, l’attitude de CFI a été décriée et plusieurs de ses partenaires lui ont tourné le dos. Une plainte est même actuellement en cours contre l’organisation.
Plusieurs observateurs reprochent à l’agence française CFI d’avoir livré le journaliste à ses bourreaux après la diffusion de la lettre sur les réseaux sociaux. Ce qui a donné lieu à une campagne anti-CFI sur les réseaux sociaux.

NK


Un citoyen privé de son droit à un procès équitable

A quelle date est prévu le procès en appel d’Ignace Sossou ? Difficile de répondre à cette question, tant la Justice béninoise, semble-t-il, s’acharne à traîner les pas. Actuellement, Ignace Sossou est défendu par 4 Avocats. Il s’agit de Henri Thuillez, coopté par le Journal L’Evènement de Moussa Aksar, pour défendre le journaliste ; le second, William Bourdon, pour le compte de 3i ; il y a aussi Elise Le Gall pour la CENOZO. Du côté du Bénin, l’Avocate Prisca Layo, commise d’office, poursuit, elle aussi, la tâche de défendre du journaliste. Un quatuor qui n’attend que le procès en appel pour défendre leur client. Mais d’appel, que nenni. Qu’est-ce qui fait traîner ainsi la procédure ? «On ne retrouve plus le «Dossier de condamnation» d’Ignace Sossou, nous dit-on. Document sans lequel on ne peut demander un procès en appel. Selon des sources indirectes, ce dossier n’a été consigné nulle part. Que faire alors ? Jusqu’à quand devra-t-il attendre ? Tout condamné n’a-t-il pas droit à un procès équitable ? La justice pour tous ne semble pas s’adresser à Ignace Sossou.

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