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Crise de l’Education: Les établissements privés touchés par la violence.

Dénonçant les retards dans la mise en œuvre du protocole d’accord avec le gouvernement, la Coordination nationale des syndicats des enseignants (CNSE) a lancé, en décembre dernier, un mot d’ordre de suspension des évaluations. Craignant une année blanche, les élèves du secondaire de Ouagadougou, regroupés en association, ont décidé de manifester pour soutenir leurs enseignants. Ces différentes manifestations qui sont censées être une lutte des enseignants des établissements publics, vont peu à peu contaminer les établissements privés. Pourquoi ? Comment ces derniers se préservent des effets de ces grèves ? Cela engendre-t-il des coûts financiers ? Pour répondre à ces préoccupations, nous avons fait un tour dans quelques établissements privés de la ville de Ouagadougou, pour en savoir davantage.
4 décembre 2018. Le syndicat des enseignants lance un mot d’ordre de suspension des évaluations dans toutes les écoles publiques du pays. Très vite, le monde éducatif est en ébullition. Pour soutenir leurs enseignants dans cette lutte, l’Association des élèves du secondaire de Ouagadougou (AESO) a décrété une grève de 72h du 24 au 26 janvier 2019. Les élèves du public désertent donc les classes. Ils sont dans les rues pour réclamer la reprise des évaluations, la remise de leurs copies et l’application du protocole d’accord signé entre le gouvernement et la Coordination nationale du syndicat des enseignants. Le mot d’ordre qui ne concernait que les établissements publics va très vite évoluer pour toucher ceux du privé. Petit à petit, les établissements privés se vident de leurs élèves. Et pour cause, explique le président de l’Association des élèves du secondaire de Ouagadougou, Dramane Sankara, c’est un problème qui concerne tout le monde, autant le public que le privé.
La section de l’AESO, selon Dramane Sankara, avait une manifestation de 72h qui a commencé le 24 janvier et a pris fin le 26. Elle concernait d’abord les sections de l’AESO dans les différents établissements. Mais, souligne-t-il, certains délégués généraux des privés ‘’nous appellent pour nous dire’’ qu’ils souhaitent se joindre à la danse parce que s’il y a une année blanche, ça ne va pas toucher uniquement le public ».
C’est ainsi que les élèves du privé se sont retrouvés dans la grève des établissements publics malgré eux. Pourtant, le décret portant protection du domaine scolaire stipule en son article 2 que : « Le domaine scolaire est inviolable. Aucun individu autre que les apprenants, les enseignants et les personnels qui travaillent dans les structures éducatives ne peut y pénétrer à quelque moment que ce soit sans autorisation du premier responsable de la structure éducative à des desseins autres que de renseignements en rapport avec la vie scolaire ».
Malgré l’existence des textes, il est à constater que des élèves ou pas, s’organisent pour aller faire sortir leurs camarades du privé, utilisant toutes sortes de moyens pour parvenir à leur fin.

Qui sont ces élèves et comment s’organisent-ils?
Selon les informations que nous avons recueillies, ce sont généralement des jeunes surexcités, des scolaires, des non scolaires, certains sont en tenue, d’autres pas, qui arrivent en groupe cagoulés pour certains, armés de gourdins, de lance-pierres, de chaînes, de couteaux, prêts à en découdre contre quiconque voudrait s’opposer à eux, que ce soit un élève ou un membre du personnel.
« On a eu une attaque à partir du 13 janvier. Un groupe de 25 à 30 élèves sur des motos est venu avec des sifflets et a forcé le portail pour rentrer. Quelques-uns étaient cagoulés avec des gourdins, des chaînes et des armes blanches. Pour éviter que les enfants ne soient blessés, nous étions obligés de les laisser rentrer chez eux. On a fait cela plusieurs jours et après, on a décidé de résister d’une manière pacifique. On a demandé aux enfants de rester dans la cour s’ils les font sortir, mais ça n’a pas suffi. Ils voulaient coûte que coûte que les enfants partent de l’école et devenaient de plus en plus menaçants », a confié le directeur d’un établissement privé de la place.
Dans presque tous les établissements où nous sommes passés, le constat est le même. Quand les perturbateurs ciblent un établissement, ce n’est pas pour négocier. Quand ils s’y rendent, ils défoncent la porte et somment l’administration de libérer les élèves. « Quand vous perdurez dans la discussion avec eux, ils vont tout faire pour faire sortir leurs camarades, soit à coup de jet de pierres, soit à coup de pétards et si jamais vous prêtez le flanc, ils paradent et essayent de saccager comme ils peuvent, en cassant les vitres et tout ce qu’ils peuvent faire pour nuire à l’établissement, afin de s’assurer que les élèves partent», a déploré le fondateur d’un autre établissement de la place.
Le 21 janvier, un établissement privé de la place a vu ses locaux saccagés par ces derniers. « Ils sont venus et ont cassé pratiquement le bureau du censeur et du directeur des études. Ce jour –là, nos enfants n’ont pas voulu se laisser faire parce qu’ils ont pris conscience qu’ils étaient en train de perdre les cours alors que d’autres étaient en avance. Les grands élèves ont décidé de discuter avec eux pour les raisonner. Mais les agresseurs ont refusé et dans les altercations, des élèves ont été blessés. Les conseillers qui s’interposaient entre la bande armée et les élèves ont été blessés. Parmi les grévistes aussi, y en a qui ont été blessés », a indiqué le directeur de l’école. Des dégâts matériels évalués à plus d’un million de Francs CFA, à entendre le responsable de cet établissement qui a précisé que la plupart des perturbateurs étaient d’ anciens élèves, qui ont été expulsés pour indiscipline ou insuffisance de travail. Toute chose qui a conduit le responsable de l’établissement à déposer une plainte à la police. Suite à cela, la police a procédé à des interpellations.
Selon certaines confidences, ces différentes attaques ne sont pas liées pour la plupart à des types de revendication ou de soutien aux manifestations des enseignants. Elles sont plutôt commanditées.

Qui est à la base de ces mouvements ?
Il ressort de notre petite enquête, qu’ils sont de tout bord. Parce qu’ils n’ont pas envie de faire cours, des élèves se payent les services d’un gang dans un quartier proche de l’école pour perturber les cours. Les membres du gang sont pour la plupart des élèves qui ne partent pas à l’école et d’autres enfants qui ne sont même pas des élèves. Ils partent louer des engins et dès 7h, le chef de gang convoque une réunion avec tous ses éléments pour mettre en place leur plan de bataille visant à faire sortir les élèves. Une fois leur mission accomplie, ils patrouillent dans la ville sur leur moto en faisant du bruit.
“Une fois, ils sont venus avec des coupe-coupe, des couteaux, des chaînes et même des bâtons et sont montés jusqu’à l’étage pour s’assurer s’il n’y avait pas des élèves. Ils ont fait des acrobaties dans la cour de l’école et dans cette situation, une de nos élèves de la cinquième a eu une écorchure parce que le gréviste n’a pas pu maîtriser sa moto”, a expliqué le proviseur du lycée Le Petit poucet, Joanny Compaoré.
Mais la violence n’est pas forcément physique, à entendre le fondateur du lycée Ramondg Wende, Luc Konaté. « Moi, en tant que directeur, à mon âge, un enfant de cinquième d’un autre établissement qui vient s’arrêter devant moi et me dit : fais sortir les élèves ou bien on casse et je ne peux rien y faire, ça aussi, c’est une autre forme de violence », a-t-il déploré.
Ce qui est encore plus déplorable, à entendre le directeur d’un autre établissement, c’est que dans certaines matinées, dès 7h, le groupe est là. Où encore la veille, ils préviennent de ne pas faire cours le lendemain. « Les jours où ces perturbateurs vous oublient, vous travaillez sans problèmes. Le jour où vous êtes dans leur ligne de mire, vous n’aurez pas cours. Ce qui fait que les classes ne sont plus des classes, car quand la période arrive, les élèves travaillent la peur au ventre, en guettant la porte de sortie, en tendant l’oreille si bien que l’enseignant, malgré tous ses efforts en classe, n’arrive pas à faire passer sa leçon, parce que certains sont craintifs et ailleurs. En tant qu’enseignants, vous êtes démotivés », a-t-il regretté.
A la question de savoir pourquoi ils manifestent, les perturbateurs ont du mal à se justifier. « Une trentaine d’élèves sont venus pour perturber nos cours récemment. Nous sommes allés à leur rencontre pour essayer de discuter avec eux. Quand on leur a demandé les raisons de leur mouvement, ils nous ont répondu qu’ils manifestaient contre la libération de Laurent Gbagbo. Quand on vous sert ça, vous savez qu’ils viennent pour autre chose », a-t-il indiqué.
En plus des élèves, il ressort aussi que certains fondateurs d’établissements utilisent cette stratégie peu orthodoxe pour ne pas payer des enseignants. « Très souvent, il y a des fondateurs qui font perturber les cours pour des raisons économiques, chose qui est dommage », a déploré un directeur d’établissement. Dans l’année, renchérit le directeur de l’enseignement privé, Karim Kaboré, un établissement privé ou public a une journée pour célébrer sa journée culturelle. Mais soutient-il, certains établissements font des journées culturelles à répétition, surtout dans les privés, pour réduire la masse salariale des enseignants.

Que faire face à cette situation ?
Au regard de cette problématique, le lycée Ramondg-Wende, à entendre son directeur, Luc Konaté, a fait appel à la police chaque fois que les perturbateurs se présentent. « Ils nous disent qu’ils vont appeler la hiérarchie et nous revenir mais ne reviennent pas. On se sent pratiquement abandonnés », a-t-il dit. Pour permettre à ses élèves de suivre normalement les cours, cet établissement s’est payé les services des gros bras, appelés ‘’les videurs’’. « On a tenté cette expérience depuis l’an passé. Ils ne sont pas nombreux, ils viennent à trois, mais ils sont efficaces. L’intervention fait 45000 Francs dans la journée. On a fait appel à eux deux fois cette année. Certains perturbateurs les connaissent parce qu’ils les rencontrent dans d’autres cadres autres que l’école. Ils savent comment ces messieurs interviennent, quand ils apprennent qu’ils sont là, ils ne viennent pas », a-t-il expliqué.
D’autres établissements par contre, par impuissance, cèdent aux chantages des perturbateurs pour éviter d’exposer les élèves à la violence. « Nous avons écrit au DG de la police qui nous a fait comprendre que c’est très difficile pour eux parce que leur effectif est en nombre limité pour couvrir les établissements. De temps en temps, ils faisaient le tour mais ne trouvaient pas les grévistes parce que ces derniers suivent aussi le mouvement des agents de sécurité. Donc, quand les perturbateurs viennent, on libère les enfants parce qu’on n’a pas les moyens pour les défendre’’,a révélé Joanny Compaoré, notant au passage que son établissement a pris quand même des mesures palliatives pour que les élèves ne soient pas en retard dans les différentes progressions pédagogiques. ‘’Au premier trimestre, avant le 6 décembre, on avait pris des mesures où les cours étaient suspendus les matins pour être repris de 14h jusqu’à 18h. Les élèves de la Terminale et Troisième n’ont pas eu de congés le premier trimestre, sauf le 31 et le 1er, le 3 et le 25”, a-t-il dévoilé.
Quel est l’avis du ministère de l’Education nationale et de la Promotion des langues nationales? « C’est de l’incivisme pur et un manque de respect. Quand on ne veut pas aller à l’école, on ne doit pas empêcher ceux qui veulent aller de le faire», a martelé le directeur de l’enseignement privé, Kaboré Karim.
Pourtant, des textes existent, mais ne sont pas appliqués. Il faut donc que l’Etat se donne les moyens de les faire appliquer. A ce sujet, M. Kaboré a révélé que le ministère est en train de préparer des assises nationales sur l’éducation qui vont prendre en compte tout cela. En attendant, il a invité les parents eux-mêmes à s’impliquer dans la sensibilisation de leurs enfants pour éviter certaines pratiques qui sont déplorables.
Au niveau des différentes rencontres avec le ministère de l’Education, les fondateurs ont posé le problème. « Ils nous ont dit que quand on a pas la possibilité de gérer les perturbateurs, il faut faire sortir ses élèves et fermer l’établissement pour qu’il n’y ait pas de dégâts ou d’autres problèmes. Quand le ministère lui-même donne ces instructions, vous en tant que chef d’établissement, vous ne pouvez rien faire tout en sachant qu’une seule heure perdue est difficilement rattrapable», a souligné le fondateur d’un établissement privé.
Lors d’une conférence de presse animée le 2 février, la CNSE a annoncé la suspension de son mot d’ordre pour deux mois maximum. Tout en espérant qu’un consensus soit trouvé entre elle et le gouvernement, chacun est invité à jouer pleinement son rôle pour permettre aux élèves de suivre dans de bonnes conditions, les cours. La responsabilité de tous est donc engagée, autant le ministère de l’Education, les enseignants, les fondateurs, les élèves ainsi que les parents.

Hannifah Sawadogo


Quelle est la part de responsabilité de l’AESO ?

Tout est parti sur le mot d’ordre de l’AESO. L’AESO a-t-elle sa part de responsabilité dans ce qui se passe actuellement? Il faut croire que non, à entendre son président, Dramane Sankara, qui a noté que l’association était bien organisée et luttait en respectant certaines règles de l’art. Néanmoins, il a appelé les élèves à s’organiser, à s’informer et à adopter des méthodes de lutte dans le respect des règles de l’art, pour ne pas salir la lutte.
Somme toute, nul n’est censé ignorer que les grèves jouent énormément sur les résultats scolaires des élèves. En dehors de ces grèves, il faut noter que le mois de décembre ou ‘’mois à problèmes’’, est un mois où il est quasi impossible de faire cours dans les établissements publics que privés. Sous prétexte qu’ils démarrent tôt vers le 15 septembre, certains établissements privés, pour éviter ce problème, se permettent de fermer dans le mois de décembre et d’arrêter les cours en fin novembre pour reprendre en janvier. Pratique qui a conduit le Directeur régional de l’Enseignement secondaire à prendre une note pour dire que personne n’a le droit de déroger au calendrier établi pour le carnet scolaire. Le carnet scolaire fixe les congés à la date du 22 au 23 décembre et aucun établissement n’a le droit de faire son propre calendrier. N’empêche que le problème demeure. La stratégie pour la majorité des établissements, c’est de tout faire pour terminer les évaluations du premier trimestre avant le mois de décembre.


Temoignage d’une élève de la première

Notre établissement a aussi été ciblé par les perturbateurs. Ils manifestaient mais il y avait quatre établissements dans notre zone, dont le nôtre, qui étaient épargnés. Mais à partir du 20 janvier, ils ont commencé à nous faire sortir en disant: si le public ne fait pas de devoir, le privé non plus ne le fera pas.
Quand ils arrivent, ils rentrent dans les classes avec des fouets. Comme notre classe est pleine de filles, dès qu’ils rentrent, on crie et on court se réfugier auprès des garçons. Ces derniers demandent pardon et ils nous laissent sortir sans nous toucher. Certains montent avec leur moto sur les escaliers tout en sachant qu’on doit descendre et là, ils nous cognent et nous frappent. Le 31 janvier, ils sont venus avec des fouets, des chaînes, des ceintures et des cailloux. Dès qu’ils sont rentrés dans l’établissement, les garçons sont sortis pour leur demander pardon. Ils ont dit qu’ils voulaient qu’on libère l’établissement rapidement. Les garçons ont aidé les filles à sortir car ils essayaient de casser la porte. Certains sont allés pour demander pardon mais cela s’est terminé par des coups. Un élève de l’établissement, dans la colère, a frappé un gréviste jusqu’à le faire saigner du visage. Et là, ce fut une erreur. Ils ont appelé un renfort et nous avons tous fui. Ils ont menacé de se venger.Comme le parking est dehors, ils sont sortis ramasser six casques et sont partis avec.
Face à la situation, le responsable a appelé la CRS. Avant leur arrivée, on a fait rentrer nos motos à l’intérieur. Les grévistes sont passés mais comme ils n’ont pas vu les motos, ils ont pensé qu’on n’avait pas cours et sont repartis. Ils sont repassés après et il se trouvait que la CRS était là.
Ils sont répartis pour revenir nombreux. Là, ils ont essayé de passer par la seconde porte, comme la CRS était devant la porte principale. Les élèves ont compris leur manège et ont interpellé la CRS. Ils ont alors pris la fuite. Juste après ça, ils ne sont plus revenus.
Le jeudi, des élèves ont dit que quand ils rentraient après les cours, ils ont croisé certains grévistes qui les ont menacés: «Vous êtes morts». Certains, dans la peur, ne sont pas venus le vendredi.

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