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Comment réduire les tarifs d’électricité dans l’espace Cedeao ? – Par : Souleymane Ouédraogo

Le père de l’analyse économique classique; Adam Smith; expliquait en ces termes la nécessité des échanges commerciaux entre nations: «La maxime de tout chef de famille prudent est de ne jamais essayer de faire chez soi la chose qui lui coûtera moins cher à acheter qu’à faire».
Comment explique-t-on alors que, comparativement à son voisin ivoirien, un Libérien dépense quatre fois plus d’argent pour se procurer un kWh? Pourquoi faut-il qu’un pays comme le Ghana, en surcapacité de près de 900 mW, peine à écouler sa production alors que son voisin; le Burkina Faso; subit d’insupportables délestages pour un besoin d’environ 70 mW ?
L’analyse de ces questions cruciales est traitée dans cet article qui souhaite nourrir les grands débats en cours dans l’espace CEDEAO.

Résoudre les problèmes de surcapacité et de déficit des systèmes électriques nationaux
L’électricité est consommée moins d’un dixième de seconde après sa production. Elle se transporte sur des milliers de km, avec moins de 2% de pertes. Ainsi, qu’elle soit produite à Soubré en Côte d’Ivoire ou à Kainji au Nigeria, l’électricité est disponible en une fraction de seconde à Bamako au Mali ou à Ouagadougou au Burkina Faso, pour peu qu’il y ait des lignes d’interconnexion adéquates qui relient les sites.
Dès lors, les pays présentant des conditions avantageuses de production d’électricité (Nigeria, Guinée, etc.) peuvent alimenter les autres dont la nature est moins généreuse (Burkina, Niger, etc.). L’absence d’interconnexions constitue un frein au développement d’une telle stratégie. Pire, elle peut conduire à un gaspillage inédit de ressources dans les pays en situation de surcapacité ou de déficit.
En rappel, le fonctionnement d’un système électrique exige une parfaite égalité en temps réel entre l’offre et la demande de puissance. Si faute de demande conséquente, un pays comme le Nigeria n’est pas en mesure de mettre ces 3.091 mW excédentaires en service (puissance oisive), il s’ensuit un renchérissement du coût du kWh du fait des charges fixes supportées et/ou des contrats d’achat ferme que le pays se doit d’honorer. Dans tous les cas, du fait de la non-stockabilité rigoureuse de l’électricité, une crise de surcapacité conduit à un problème de renouvellement de l’appareil productif (non-constitution de dotation aux amortissements) et/ou à une perte de confiance des investisseurs privés (non-respect des contrats d’achat).
Dans un tel contexte, l’engouement des investisseurs s’effrite et les acteurs locaux ont légitimement tendance à recourir à des unités de production de taille modeste (moteur diesel) qui présentent, certes, l’avantage d’avoir des coûts d’investissement relativement faibles, mais dont l’énorme désavantage est relatif aux coûts élevés d’exploitation (charges combustibles et de maintenance). En tout état de cause, le pays perdra le bénéfice de profiter des bienfaits des grandes unités de production (Turbine à gaz, Cycle combiné, Centrale à charbon, etc.) dont les contraintes techniques d’exploitation sont incompatibles avec des demandes nationales souvent très faibles et/ou irrégulières (forte variabilité des courbes de charges). Ce processus conduit à un renchérissement du coût du kWh.
Quant aux pays en situation de déficit, pour combler leurs manques de puissance à court et/ou moyen termes par des moyens internes, ils ont recours soit à des groupes de location, soit à la mobilisation de petites unités de production. Dans tous les cas, les charges d’exploitation induites sont très lourdes et grèvent le prix de revient du kWh. Une autre solution pour réduire rapidement le déficit à l’interne est le recours à certaines technologies, notamment le solaire photovoltaïque dont le potentiel, le faible coût et la rapidité de mobilisation sont séduisantes de prime abord. Malheureusement, cette technologie intermittente n’apporte pas une réponse fiable au problème posé et ne peut être développée à grande échelle en autarcie, pour des réseaux de petite taille comme ceux des pays déficitaires de la CEDEAO (Burkina, Togo, Bénin, …).
En conclusion, l’absence d’interconnexion des systèmes entrainent un renchérissement du coût du kWh, tant pour les pays disposant d’excédent de capacités que pour ceux souffrant d’un déficit de puissance.

Opportunité d’optimiser l’offre régionale d’énergie
L’électricité n’existe que parce qu’il y a un système technique intégré et en fonctionnement continu qui alimente une charge (demande) suffisante en bout de ligne. L’électricité cesse immédiatement d’exister quand le système s’arrête ou quand la charge disparait. En outre, en cas d’insuffisance de la charge, le système fonctionne de façon inefficace (techniquement et économiquement), voire s’arrête de fonctionner.
Ceci étant, il convient d’assurer un dimensionnement adéquat des ouvrages électriques en tenant compte de la demande d’énergie. Aussi les plans nationaux de développement de la production sont-ils généralement orientés sur le choix d’unités de petites tailles (diésel) dont le kWh est largement plus coûteux que celui des grandes unités thermiques (TG, CC) et l’est davantage que celui de l’hydroélectricité.
Pourtant, en 2011, le plan directeur de l’EEEAO relevait l’immense potentiel hydroélectrique de l’espace CEDEAO. Sur un total de 79 sites identifiés, la puissance hydroélectrique disponible est de 11.575 mW pour une production annuelle moyenne attendue de 57.147 gWh. Le coût total des investissements pour développer ce potentiel a été évalué à 25,56 milliards de Dollars USD. Ce potentiel permet de couvrir intégralement les besoins actuels en puissance de tous les pays de l’espace CEDEAO en énergie électrique. On imagine alors aisément qu’une telle situation pourrait contribuer à réduire les tarifs dans l’espace pour les porter à des niveaux très bas (environ 6 cents USD) sans compromettre l’équilibre financier du secteur.
Dans le domaine des centrales thermiques, le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le Ghana disposent de réserve off-shore de gaz naturel. Le Sénégal dispose de faibles réserves on-shore. En outre, des pays comme le Togo et le Bénin peuvent s’approvisionner au Nigeria via le gazoduc ouest-africain. Dès lors, ces pays ont la possibilité de construire des unités de grande taille (TG de 150 mW ou CC de 450 mW) dont le prix de revient est relativement bas.
Dans le domaine du solaire, des pays comme le Burkina Faso, le Mali et le Niger offrent un bon potentiel et de l’espace pour développer de grandes unités de production. Malheureusement, les tailles de leurs systèmes sont faibles pour justifier techniquement l’implémentation de tels projets. Sans le concours des interconnexions (Ghana et Côte d’Ivoire), la centrale solaire de 150 mW prévue au Burkina Faso aurait indubitablement entamé la stabilité du réseau électrique burkinabè.

Réduire les pertes techniques et commerciales des systèmes nationaux
Les sociétés d’électricité sont fortement éprouvées par le niveau de pertes techniques et commerciales dans la distribution d’électricité. Dans l’espace CEDEAO, le taux de perte de distribution est évalué à 41,4%, avec 50,7% pour le Nigeria et 59,0% pour le Libéria.

*Données 2016
La quantité d’énergie perdue du fait de ces pertes de distribution est évaluée à 19.452 gWh, avec une perte de 13.064 gWh pour le Nigeria seul. Ainsi, l’énergie perdue dans la distribution au Nigeria suffit à alimenter 12 pays de la CEDEAO (à l’exception du Nigeria lui-même, du Ghana et de la Côte d’Ivoire) dont la demande cumulée en 2017 est de 13.096 gWh.
L’évaluation financière de ces pertes selon le tarif moyen du kWh (en 2017) de chaque pays conduit à une perte totale de 1,926 milliard USD, soit plus que le PIB de la Gambie (1,015 milliard USD), de la Guinée Bissau (1,347 milliard USD) et l’équivalent du PIB du Libéria (2,158 milliards USD). Cette analyse montre clairement que la lutte contre les pertes de distribution doit être inscrite en lettre d’or dans la politique énergétique de chaque pays. Les sociétés de distribution, malgré les importantes subventions, sont pour la plupart déficitaires et clament incessamment des augmentations de tarifs pour équilibrer leurs comptes. Dans bien des cas, une réduction des pertes de distribution suffirait très largement. Comment peut-on espérer faire de bonne affaire après avoir perdu plus du tiers de ses produits ?

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  1. Le choix technologique (Diesel, TG, CC, Solaire, Hydro) dépend de la durée d’utilisation des centrales. Les centrales les plus onéreuses à l’investissement exigent des durées d’utilisation plus longues.
  2. La puissance solaire du fait de sa dépendance aux phénomènes naturels (ensoleillement, température, …) n’est pas garantie. Son coût de stockage demeure actuellement très élevé.
  3. La quête de stabilité et de fiabilité du système exige l’installation d’une capacité réduite d’énergies intermittentes et des unités de faible puissance pour les réseaux de petite taille.
  4. Ce chiffre est fortement influencé par les pertes enregistrées au Nigéria qui pèse pour près de moitié dans l’espace CEDEAO.

 


Conclusion

L’espace CEDEAO regorge d’abondantes ressources énergétiques pour produire suffisamment d’électricité à un prix très abordable pour ses 350 millions d’habitants et ses entreprises. Pour développer ce potentiel, il est indispensable que les pays consolident leurs demandes à travers l’interconnexion des réseaux électriques. En plus des interconnexions, chaque pays devrait travailler à accroitre le rendement de son système pour rendre cette importante demande solvable. En effet, la réduction des pertes de distribution et l’accroissement des taux de recouvrement permettent de renforcer la santé financière des sociétés d’électricité. Ce qui leur permettra d’honorer leurs engagements financiers auprès des investisseurs privés et/ou de veiller au maintien et au renouvellement des ouvrages de production. Toute chose qui permettra de rassurer les investisseurs privés et la capacité des sociétés d’électricité à mobiliser des financements suffisants pour construire des ouvrages électriques à la hauteur des besoins de notre espace.

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Un commentaire

  1. Beaucoup des pays de la CEDAO ont des ressources en biomasse importantes et des usines qui génèrent des déchets de type lignocellulosiques. Edda-Energie, une petite entité française, a modernisé un procédé qui fonctionnait déja en 1985 (mais disparition du marché)dans l’application la plus difficile: alimentation d’un groupe électrogene à moteur à gaz pauvre. Nous avons passé le stade du développement technique, nous abordons le stade du développement industriel, nous ne sommes pas prêts pour tous les types de biomasse, nous n’avons que 3 mois de fonctionnement continu derrière nous, nous préfèrerions attendre un retour d’expérience plus important près de nos bases françaises, mais nous sommes prêts à étudier des projets sachant que la gestation d’un projet biomasse dure entre 2 et 3 ans. Bien entendu, la cogénaration est une application idéale.

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