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Fraude fiscale et blanchiment d’argent: ce que vous devez savoir

Les pertes de recettes fiscales, doublées de la volonté des pouvoirs publics de traquer la fraude et l’«argent sale», ont conduit progressivement au durcissement de la législation des pays en développement. Mais, la complexité du phénomène est telle qu’il n’est pas toujours aisé de faire la distinction entre fraude fiscale et optimisation fiscale. Notre spécialiste, Daouda Diallo, répond aux questions de la rédaction. Un exercice pédagogique.

L’Economiste du Faso: Quelle est la réglementation en matière d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent au Burkina ?
Daouda Diallo, spécialiste en lutte contre la fraude fiscale et blanchiment d’argent: Ce sont deux phénomènes différents, et nous allons y répondre de façon séparée, pour plus de clarté pour vos lecteurs.

• Sur l’évasion fiscale   
De prime abord, il est important de préciser ce dont il est question. D’autant plus qu’il ne s’agit pas d’un terme consacré par la loi. L’évasion fiscale, c’est le «fait de soustraire le maximum de matières imposables à l’application de la loi fiscale en général ou à l’application d’un tarif d’impôt particulier, sans transgresser la lettre de la loi –ce qui correspondrait à la fraude fiscale– en mettant systématiquement à profit toutes les possibilités de minorer l’impôt, ouvertes soit par ses règles, soit par ses lacunes».
L’évasion fiscale correspond donc à une forme d’optimisation fiscale excessive. Il faut dire que suite aux scandales des Swissleaks, Luxleaks, des Panama papers et des Paradises Papers, la perception de l’optimisation fiscale a complètement changé aujourd’hui, sous l’instigation du Forum mondial sur la transparence et l’échange de renseignements en matière fiscale. Les nouvelles approches n’acceptent que l’optimisation fiscale sous-tendue par un but économique. Si l’optimisation fiscale tend uniquement à une minoration des impositions, elle est de plus en plus assimilée à une fraude fiscale.
Dans cette optique, de nouvelles règles ont été initiées et tendent à lutter contre l’érosion des bases d’imposition et la sous-imposition des profits des entreprises, toujours sous l’impulsion des membres de ce forum mondial.
Ainsi, de la concertation entre les Etats et les organisations économiques internationales, 15 actions ont été définies pour être mises en œuvre par les Etats afin de préserver les bases d’imposition des revenus des entreprises.

Des pénalités fiscales pouvant atteindre 100%, voire 200%, des peines de prison, fermeture d’entreprise, interdiction d’exercer, comme sanctions. (DR)

Au Burkina Faso, certaines de ces actions ont été traduites dans le récent Code général des impôts (CGI). Deux types de dispositions sont révélateurs de cette option résolue de lutte contre les transferts occultes de bénéfices. Il s’agit de la nouvelle disposition générale anti-abus de droits et des dispositions spécifiques prohibant spécialement telle ou telle pratique considérée comme relevant de l’évasion fiscale.
La disposition générale est l’article 596 du Code général des impôts dont l’alinéa 1er dispose que : «Ne peuvent être opposés à l’administration fiscale, les actes (…) qui recherchent le bénéfice d’une application littérale des textes ou des décisions à l’encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, avec le seul but d’éluder ou d’atténuer les charges fiscales que l’intéressé aurait normalement supportées, si ces actes n’avaient pas été réalisés».

• Sur le blanchiment de capitaux
Sur le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, il faut recourir à la loi numéro 16-2016/AN du 3 mai 2016 qui définit le blanchiment de capitaux comme le fait d’introduire ou d’aider à introduire dans l’économie licite des biens ou des sommes d’argent dans le but de dissimuler leurs origines illicites. De façon plus précise, l’article 7 de cette loi dispose que : «Aux fins de la présente loi, sont considérés comme blanchiment de capitaux, les agissements énumérés ci-après, commis intentionnellement:
a) La conversion ou le transfert de biens, par toute personne qui sait ou aurait dû savoir que ces biens proviennent d’un crime ou délit ou d’une participation à un crime ou délit, dans le but de dissimuler ou de déguiser l’origine illicite desdits biens ou d’aider toute personne impliquée dans cette activité à échapper aux conséquences juridiques de ses actes.
b) La dissimulation ou le déguisement de la nature, de l’origine, de l’emplacement de la disposition, du mouvement ou de la propriété réelle des biens ou des droits y relatifs, par toute personne qui sait ou aurait dû savoir que ces biens proviennent d’un crime ou délit ou d’une participation à un crime ou délit.
c) L’acquisition, la détention ou l’utilisation de biens, dont celui qui s’y livre sait ou  aurait dû savoir, au moment où il les réceptionne, que ces biens proviennent d’un crime ou délit ou d’une participation à un crime ou délit.
d) La participation à l’un des actes visés aux points a), b) et c), le fait de s’associer pour le commettre, de tenter de le commettre, d’aider ou d’inciter quelqu’un à le commettre ou de le conseiller, à cet effet, ou de faciliter l’exécution d’un tel acte.
Ainsi, la loi n° 16-2016/AN du 3 mai 2016 internalise les dispositions communautaires sur cette lutte. Pour sa mise en œuvre il est prévu :
– La mise en place des CENTIF (Cellule nationale de traitement des informations financières) chargées de collecter et de traiter les informations financières au niveau de chaque Etat membre ; à la recherche notamment de cas de blanchiment.
– L’institution à la charge de certains professionnels (notamment les établissements financiers, agents immobiliers, agents de change, agences de voyages, les gérants d’établissements de jeux de hasard, les commissaires aux comptes, les membres des professions juridiques indépendantes tels que magistrats, notaires, avocats…), d’une obligation de déclaration les soupçons de blanchiment de capitaux. Ces personnes doivent déclarer les sommes inscrites dans leurs livres ou les opérations portant sur des sommes dont ils «savent, soupçonnent ou ont de bonnes raisons de soupçonner qu’elles proviennent d’une infraction de blanchiment de capitaux».

Que risque-t-on si on est accusé d’une ou des deux infractions ?

• Sur l’évasion fiscale
Il faut distinguer deux types de pratiques :
L’évasion fiscale stricto sensu. C’est-à-dire celle commise en ne violant que l’esprit de la loi, et qui est sanctionnée au Burkina Faso par l’inopposabilité des actes posés. En conséquence, le fisc peut réclamer l’impôt éludé et des pénalités de bonne foi (puisqu’elle est présumée) dont le taux varie suivant l’impôt dont il s’agit. En général, ce taux se situe entre 25% et 50%.
La fraude fiscale, qui est infraction sous-jacente au blanchiment de capitaux, est caractérisée notamment par l’usage de manœuvres frauduleuses, et est plus lourdement sanctionnée. Cela va des pénalités fiscales pouvant atteindre 100%, voire 200%, à des sanctions pénales – amendes, peines de prison (art. 806 et s. du CGI), fermeture d’entreprise, interdiction d’exercer (art. 812 et s. du CGI).

• Sur le blanchiment de capitaux
Avec la loi relative au blanchiment de capitaux, une personne morale est passible de poursuites pénales, tout comme une personne physique.
Pour la personne physique, l’auteur du blanchiment de capitaux encourt notamment une peine d’emprisonnement de trois (3) à sept (7) ans et/ou une amende du triple de la valeur des capitaux blanchis. Des peines complémentaires peuvent trouver à s’appliquer, de même que des interdictions temporaires ou définitives d’exercer certaines activités. Les membres des professions réglementées ayant une autorité disciplinaire peuvent également subir les sanctions de ces instances.
Pour la personne morale auteur de blanchiment de capitaux, elle encourt une amende fixée au quintuple des capitaux blanchis. Il peut, en outre, y avoir d’autres peines telles que l’exclusion temporaire ou définitive des marchés publics.

Quels sont les moyens d’évasion fiscale et de blanchiment d’argent les plus usités au Burkina Faso ?

• Sur l’évasion fiscale
Il est difficile de répondre avec certitude à cette question. Cependant, deux observations peuvent être faites.
La première est que la plupart des pratiques d’évasion fiscale épinglées par la loi burkinabè comme par les instruments juridiques internationaux sont des moyens utilisés par des multinationales: sous-capitalisation des entreprises, assortie de prêts avec des frais financiers importants en faveur de l’emprunteur qui est généralement la maison-mère, localisation artificielle de certains revenus dans des Etats à fiscalité privilégiée ; dans un sens plus large, la manipulation des prix de transferts qui peuvent se présenter sous forme de frais de siège ou d’assistance technique excessivement rémunérés ; le caractère fictif des établissements stables, les achats groupés, etc.
La deuxième est que, pour la plupart des contribuables burkinabè, les pratiques couramment usitées pour échapper à l’impôt consistent davantage en de la fraude fiscale basique plutôt qu’en de l’optimisation fiscale sophistiquée. En fait, l’évasion fiscale strictement entendue est essentiellement le fait de contribuables qui connaissent bien les textes fiscaux et leurs failles, aussi bien dans l’ordre interne que, surtout, au niveau international.

• Sur le blanchiment de capitaux
Le blanchiment de capitaux est une infraction de conséquence : il existe parce qu’une première infraction existe ; c’est une infraction sous-jacente soit un délit ou un crime. Il s’agit du vol, de l’abus de confiance, de la fraude fiscale, du détournement, de l’escroquerie, du détournement de deniers publics ….
Il est fort à parier que le fruit de certaines activités illicites, apparemment très lucratives, est blanchi dans des activités commerciales licites, dans des investissements immobiliers… Parmi ces activités illicites, il y a celles qui font régulièrement l’objet de saisies par les forces de l’ordre : vente de stupéfiants, contrebande de produits dangereux comme le cyanure  et le commerce clandestin de l’or.
A en croire certains rapports, le financement du terrorisme en Afrique de l’Ouest s’effectue notamment par de l’argent blanchi. Le Burkina Faso n’échappe probablement pas à cette donne.

Quels types de contrôles les services des impôts exercent-ils pour limiter cette fraude ?

• Sur l’évasion fiscale
Il s’agit des contrôles classiques: vérifications sur place –effectuées au sein de l’entreprise et consistant à examiner sa comptabilité et les supports qui la sous-tendent-, et contrôles sur pièces effectués dans ses propres locaux par l’administration. Les moyens de collecte de l’information par l’administration ont été renforcés ces dernières années à travers notamment l’organisation progressive de l’assistance administrative internationale et des mesures purement internes telles que l’allongement du délai de prescription des impôts contrôlés en matière de prix de transferts (prix des transactions intragroupes). L’assistance administrative internationale permet notamment au fisc burkinabè de solliciter auprès d’une administration fiscale étrangère des informations nécessaires à la bonne imposition d’un contribuable du Burkina Faso.

• Sur le blanchiment de capitaux
Le système de veille semble notamment reposer sur les remontées d’informations à la CENTIF, avec les limites que cela peut comporter. Néanmoins, des dossiers ont déjà eu à être transmis aux procureurs du Faso pour des poursuites judiciaires. Un Conseil des ministres avait même fait état de dossiers de soupçons s’élevant à 86 milliards de FCFA pour l’exercice 2015.
27 dossiers auraient alors été transmis aux parquets (Conseil des ministres du 9 mars 2016).

Vos services sont-ils formés pour maîtriser les astuces des fraudeurs ?

• Sur l’évasion fiscale
Nous ne sommes qu’un œil externe, mais il nous semble bien qu’il y a des efforts dans le sens du renforcement des capacités des agents sur ce plan. Encore faut-il que les agents formés soient utilisés à bon escient, que les affectations soient faites de sorte à tirer un profit optimal des compétences acquises par les formés. Par ailleurs, que les personnes formées veuillent bien se mettre à jour en continuant leur formation par des lectures pertinentes, parce que nous sommes dans un domaine qui évolue rapidement.

• Sur le blanchiment de capitaux
Je n’ai pas beaucoup d’informations sur la traque opérée par nos services, parce que, en la matière, l’efficacité se trouve dans la discrétion. Mais, je puis vous assurer que nous avons des services très compétents dans la poursuite de l’argent sale. La lutte contre le blanchiment de capitaux est une lutte communautaire, et même mondiale. Dans l’espace UEMOA et CEDEAO, les cellules de renseignements financiers ont développé des réseaux d’échanges d’informations qui sont un moyen efficace de partage sur le mode opératoire des blanchisseurs afin de les traquer.

Entretien réalisé par JB


Que pouvez-vous nous dire sur le trust ?
Le trust est un mécanisme juridique consacré par la législation de certains Etats –principalement des Etats anglo-saxons– par lequel une personne (le constituant) confie un ou plusieurs biens à une autre personne (le “trustee’’), à charge pour celle-ci de le(s) gérer et d’en faire bénéficier une troisième personne (le bénéficiaire), avant de finalement le(s) remettre à une quatrième (l’attributaire) ; certaines des casquettes peuvent toutefois être portées par la même personne. Par exemple, le bénéficiaire et l’attributaire peuvent en réalité renvoyer à un même individu.
Simplifié à l’extrême, on pourrait dire que le trust permet au propriétaire d’un bien de transférer ledit bien à une autre personne qui doit le gérer et le faire fructifier au profit de ce propriétaire initial et/ou d’autres personnes désignées par lui. Le trust est notamment utilisé comme instrument de gestion de patrimoine, d’organisation de succession ou de garantie.
Pour le sujet qui nous concerne, il est vrai que la presse internationale s’est fait l’écho de l’utilisation de trusts à des fins d’évasion fiscale. La création de trusts localisés dans des paradis fiscaux aurait en effet permis à des personnes fortunées d’échapper à des impôts sur la fortune, à des impôts sur le revenu, voire à des impôts indirects comme la TVA. Dans certains cas, il s’agissait vraisemblablement de faux trusts, puisque le constituant continuait, en réalité, à être le véritable gestionnaire des biens mis en trust.

Y a-t-il au Burkina une réglementation encadrant son utilisation ?
Le droit burkinabè ne consacre pas ce mécanisme de manière précise. Nous n’avons pas connaissance non plus de cas jurisprudentiels soumis au juge burkinabè et portant sur des trusts étrangers. On peut imaginer que, comme en France, le juge pourrait admettre le trust s’il y voit un contrat international soumis à la loi d’autonomie, sous réserve des dispositions d’ordre public.
A peine peut-on relever dans l’Acte uniforme OHADA relatif aux sûretés la consécration de certains concepts juridiques apparentés au trust, comme l’agent des sûretés, le transfert fiduciaire de somme d’argent. Mais, ces mécanismes juridiques restent limités au domaine des sûretés et des garanties. Pour autant, il n’est pas trop tard pour que le législateur burkinabè se prononce sur certaines questions ; par exemple, les implications fiscales du transfert de propriété de biens au profit d’un agent des sûretés dans le cadre de l’exercice de sa mission : l’Acte uniforme dispose que «lorsque la constitution ou la réalisation d’une sûreté entraîne un transfert de propriété au profit de l’agent des sûretés, le ou les biens transféré(s) forme(nt) un patrimoine affecté à sa mission et doivent être tenus séparés de son patrimoine propre par l’agent des sûretés. Il en va de même des paiements reçus par l’agent des sûretés à l’occasion de l’accomplissement de sa mission» (art. 9).
Il se trouve que certains transferts de biens donnent lieu au paiement d’impôts (droits d’enregistrement, impôts sur le revenu…). En France, des aménagements fiscaux ont dû être apportés au régime de la fiducie (qui a inspiré le régime susmentionné) lorsque celle-ci a été instituée. o

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