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Entreprises et gouvernance politique: renforcer le dialogue économique pour soutenir le renouveau

L’Economiste du Faso vous propose, à titre de document, le résumé de l’étude conduite par l’institut Free Afrik avec l’appui du CIPE (centre international pour la promotion de l’entreprise privée), organisme affilié à la chambre de commerce américaine. Cette étude a été restituée lors du forum international sur la «gouvernance, démocratie et affaires».
Le Burkina Faso est à un moment critique de son histoire ; un carrefour à négocier pour refonder le pacte social dans une nouvelle ère politique, sécuritaire et économique. Pour être durable, le renouveau politique en construction au Burkina Faso après l’insurrection populaire d’octobre 2014 et les élections de novembre 2015, nécessite un renouveau économique et social pour offrir des fondements solides à la démocratie. La recomposition du système politique, qui redistribue les rapports de forces pour plus d’égalité dans la compétition pour la conquête et l’exercice du pouvoir, doit en effet s’accompagner d’une réorganisation de l’économie, d’une reconfiguration de ses acteurs et d’une relance de l’activité pour assurer la prospérité et la justice sociale.
Il est capital de ne pas faire une fixation sur les réformes politiques et institutionnelles au détriment des attentes économiques et sociales. En effet, à l’instar de la plupart des pays africains, le processus démocratique burkinabè a pendant un quart de siècle accordé une attention quasi-exclusive aux enjeux constitutionnels, électoraux et politiques qui ont ainsi occupé le devant de la scène dans le débat public. L’enracinement des processus démocratiques requiert des réformes à même d’apporter le progrès économique et social. Ce progrès sera porté par un partenariat stratégique équilibré et efficace entre les principaux acteurs de la société.
Un secteur privé bien structuré à tous les niveaux, en particulier dans son segment stratégique des PME/PMI, organisé efficacement dans la formulation, l’analyse et le portage de ses préoccupations, et dont la voix porte dans le dialogue politique, constitue un acteur décisif du renouveau attendu. Il ne s’agit ni de chercher une délégitimation de l’Etat au profit d’un rôle surévalué des acteurs privés ni sa prise en otage par des réseaux d’intérêts particuliers. Au contraire, le défi est celui de la construction d’une relation partenariale stratégique entre l’Etat et le secteur privé, légitimement représenté, pour la prospérité collective.
L’étude «Renforcer le dialogue économique» constitue la phase initiale d’un projet initié par l’Institut FREE Afrik et le Center for International Private Enterprise (CIPE Washington) visant à renforcer la structuration et la gouvernance du secteur privé burkinabè et à soutenir sa participation et sa voix dans le renouveau en cours dans le pays.
L’étude aboutit à plusieurs résultats sur la cartographie du secteur privé et focalise l’attention sur le dialogue public-privé. Il ne s’agit pas d’un rapport qui compile les contraintes qui affectent le développement du secteur privé burkinabè. L’attention est plutôt accordée aux conditions et moyens d’un dialogue économique efficace et porteur de renouveau.

Cartographie du secteur privé burkina
La population d’entreprises actives est estimée au 31 décembre 2016 à plus de 66. 000 unités dont plus de la moitié (51 %) évolue dans le secteur du commerce (données du fichier NERE de la Maison de l’Entreprise). Le secteur des services concentre 30% des entreprises ; celui de l’industrie 12% et celui de l’artisanat 7%. L’industrie est en déclin dans le pays. En effet, la contribution du secteur secondaire au PIB ressort à 17,3% en moyenne entre 2006 et 2010 contre 21,5% de 1986 à 1990 (Document PNDES 2016-2020). Cette baisse est plus prononcée quand on isole la part des industries extractives.
L’agriculture n’est pas répertoriée dans les statistiques du fichier NERE en raison de l’étendue des pratiques d’informalité qui dominent ce secteur et qui demeure toutefois un enjeu majeur de développement du pays. Il rassemble, en effet, l’essentiel de la population active.
Le Burkina Faso connait par ailleurs un développement d’activités d’extraction minière qui traduit un glissement du modèle de croissance d’une économie à base cotonnière vers une économie à essor minier. La dominance des secteurs commerciaux et miniers et la désindustrialisation relative alimentent une économie de rente, rendant difficile la promotion d’un dialogue politique transparent.
Au plan géographique, l’ancrage du secteur privé est marqué par une forte concentration, notamment dans les deux principales villes du pays. En effet, 71% de la population d’entreprises sont localisés à Ouagadougou et 12% à Bobo-Dioulasso. Cette situation montre le faible maillage économique de l’intérieur du pays et pose des défis majeurs, en particulier en termes d’aménagement et de développement territorial.
L’analyse de la forme juridique de la population d’entreprises montre que les statuts de type personne physique ou entreprise individuelle (81,7%) sont largement dominants. Les personnes morales (SARL et SA) représentent seulement 18,3% de la population d’entreprises. Cette prépondérance du statut individuel est un indice de la faiblesse de la gouvernance des entreprises.
Enfin, un examen de la population des entreprises suivant l’échelle d’affaires montre la dominance des petites et moyennes entreprises dans le paysage.

Analyse stratégique du dialogue public-privé au Burkina Faso


Les forces
Le rôle moteur accordé au secteur privé dans les orientations des politiques économiques et sociales
La reconnaissance du rôle stratégique du secteur privé, en rupture d’avec des périodes antérieures de l’histoire du pays, est un atout. Bien que, de facto, les conditions et les garanties nécessaires pour que le secteur privé ait une place motrice ne soient pas souvent effectives, la déclaration de jure constitue un argument à mobiliser dans le dialogue politique.

Existence d’organisations et de structures avec une longue expérience
L’existence d’organisations et de structures disposant d’une longue expérience dans la représentation du secteur privé constitue une force.

Renouvellement en cours des organisations patronales et regain de dynamisme
Les organisations patronales burkinabè sont en renouveau, et un regain de dynamisme est espéré. Ce renouvellement des instances de direction des organisations patronales pourrait ainsi alimenter un dynamisme plus important.

Les faiblesses

Faible structuration/articulation et fragmentation des acteurs
La faiblesse des organisations patronales, éclatées entre une multitude d’organisations plus ou moins dynamiques et des faîtières peu représentatives de leurs bases et/ou peu établies, constitue une limite. En outre, l’articulation entre les organisations du secteur privé est peu adéquate et portée par une faible synergie.
La dominance de la CCI-BF contraste d’avec une voix trop faible de la CNPB. Une grande confusion existe dans les positionnements du Patronat et de la CCI-BF, y compris pour les acteurs concernés. En réalité, la CCI-BF a en principe un rôle de facilitation du dialogue, pendant que le Patronat devrait prendre en charge de façon ambitieuse et efficace la défense des intérêts du secteur privé. L’action de ces deux organisations est par ailleurs peu articulée et peu synergique. La structuration aux différentes échelles d’entreprises (grandes, moyennes et petites entreprises) et entre les organisations sectorielles est également limitée.
En définitive, la faible structuration et l’articulation limitée entre les organisations ne produisent pas une synergie d’action, une alliance stratégique, une réflexion en réseau, ainsi qu’une mobilisation des ressources suffisantes pour défendre efficacement la promotion économique.

Faible représentativité des (organisations) PME/PMI
Le dialogue économique est dominé par le «haut» du secteur privé, et ne contribue ni à la formulation de politiques en faveur des territoires dans leur ensemble, notamment l’intérieur du pays, ni en faveur des PME qui constituent une grande partie du tissu économique du pays.
Conséquence de la double faiblesse dans la structuration et dans la représentation des PME, le dialogue économique est dominé par les grandes entreprises de quelques secteurs clés. A titre d’illustration, la priorisation et le temps de prise de parole durant les RGSP font la part belle aux grands acteurs et organisations économiques. Le temps de parole des acteurs semble proportionnel à la taille de l’entreprise qu’ils représentent, la part congrue étant réservée aux PME.
Cette asymétrie de représentativité affecte le contenu des sujets portés par les organisations du secteur privé. Ainsi, les contraintes affectant l’essor de l’économie sont abordées, mais essentiellement selon le prisme, les besoins et les intérêts des grandes entreprises. Ponctuellement, les intérêts de ces dernières peuvent correspondre à ceux des PME/TPE, mais cela n’est pas garanti en général.
Si le dialogue économique est dominé par le «haut» du secteur privé, il ne contribue ni à la formulation de politiques en faveur des territoires dans leur ensemble, notamment l’intérieur du pays, ni prenant en compte les PME et les TPE qui constituent une grande partie du tissu économique du pays. La régionalisation de la politique publique et le ciblage des PME et des TPE demeurent deux défis importants.

Faibles capacités de plaidoyer et de lobbying des organisations patronales
De façon générale, le secteur privé burkinabè dispose de capacités limitées en matière de plaidoyer et de lobbying. Les ressources humaines, stratégiques et financières des organisations patronales ne permettent pas de déployer une action de plaidoyer efficace pour défendre le soutien au secteur privé.

Affaiblissement du dialogue public-privé et manque de priorité gouvernementale
En marge de l’instabilité sociopolitique depuis la tentative d’instauration d’un Sénat et de révision constitutionnelle, le dialogue entre le gouvernement et les organisations professionnelles du secteur privé s’est dégradé. Cette tendance négative ne semble pas être corrigée avec les nouvelles autorités élues. Le processus d’élaboration du PNDES, ainsi que la relecture en juillet 2017 de la loi sur les Partenariats publics-privés (PPP) ont offert l’occasion de constater les limites du dialogue économique.

Opportunités

Renouveau politique en cours et l’opportunité d’un nouvel élan dans le dialogue et le partenariat pour le développement
Le renouveau politique inauguré après l’insurrection populaire peut constituer une opportunité de renouveau des relations entre le secteur privé et les autorités publiques, et consacrer un nouvel élan dans le dialogue et le partenariat pour le développement.

La bonne disposition des partenaires techniques et financiers du Burkina Faso
Le pays a une bonne image auprès de ses partenaires et pourrait, moyennant des efforts ambitieux, mobiliser une assistance encore plus importante pour son développement.

Menaces

La volatilité du climat social
La volatilité du climat social alimentée par des grèves perlées dans l’administration publique et les tensions sociopolitiques constituent des menaces à la promotion du dialogue entre le privé et le public. Ce front social en ébullition focalise l’attention des pouvoirs publics et réduit le temps et l’attention accordés au dialogue avec le secteur privé. L’ébullition sporadique du front politique autour des contentieux politiques et d’affaires judiciaires, ainsi que le piétinement de l’agenda de la réconciliation ne créent pas non plus les conditions sereines pour une priorisation du dialogue économique.

La volatilité du climat social alimentée par des grèves perlées dans l’administration publique et les tensions sociopolitiques constituent des menaces à la promotion du dialogue entre le privé et le public.(DR)

L’insécurité grandissante
La montée de l’insécurité au Burkina Faso constitue une menace importante à la prospérité des affaires, mais également au dialogue entre l’Etat et le secteur privé. Longtemps épargné, le pays est depuis avril 2015 attaqué à plusieurs reprises. D’avril 2015 au 10 décembre 2017, une centaine d’attaques d’ampleurs diverses a été enregistrée. Des branches entières d’activités, ainsi que la région septentrionale du pays sont singulièrement affectées. La menace terroriste captive légitimement l’attention des pouvoirs publics et a souvent relégué au second plan les défis du dialogue économique. Toutefois, une implication du secteur privé dans la gouvernance sécuritaire est nécessaire pour plus d’efficacité et une prise en compte décisive des enjeux économiques.

Recommandations
Dans le contexte actuel de transition chargée d’espoirs et d’opportunités et ternie par des menaces et des risques, le renforcement de la voix du secteur privé au service du renouveau démocratique, politique, économique et social constitue un défi.

Refonder-renforcer le dialogue public-privé
La refondation du dialogue public-privé est une exigence du renouveau escompté. Elle vise à définir et à instituer un partenariat stratégique équilibré et efficace au service de la démocratie et du progrès économique et social.
La RGSP est à rénover
Une représentation plus équilibrée des différentes échelles d’affaires, des PME/PMI en particulier, doit être recherchée. Il s’agit de sortir de la dominance des grands opérateurs économiques et de faire place aux différentes sensibilités et segments du secteur privé. Une réflexion doit être menée par les organisations représentant les différentes composantes du secteur privé en ce qui concerne le format et le contenu de cette rencontre. Une piste de réforme de la RGSP pourrait consister en des sessions thématiques parallèles permettant un traitement spécifique des problématiques affectant des secteurs précis ou différents segments du secteur privé. Ainsi, la problématique lancinante du soutien à la production locale et de contenu local, de transformation et d’industrialisation, de soutien à la PME, etc. auraient les places requises dans le dialogue économique.
La dynamisation des cadres sectoriels de dialogue est également requise pour offrir des opportunités de construction de politiques publiques fondées sur les besoins réels des secteurs économiques et les préoccupations précises des acteurs.
Un organe permanent bipartite secteur privé-gouvernement de suivi-évaluation des recommandations pourrait assurer la consolidation, la mémoire, ainsi que le suivi de la mise en œuvre des réformes décidées.
Renforcer les capacités des acteurs en matière de plaidoyer et de dialogue/ apporter une assistance ciblée à des organisations stratégiques du patronat Pour mettre à profit le contexte actuel et affirmer le changement de paradigme, il est important d’appuyer techniquement les structures privées et publiques, individuellement et collectivement, dans les domaines de plaidoyer et d’élaboration d’agendas de politiques économiques. Cela passe par la formation, mais aussi par le développement d’outils de travail adaptés et la facilitation de cadres de concertations préparatoires ayant pour objet de bâtir la confiance et de libérer la parole. Une assistance ciblée aux organisations stratégiques du secteur privé constitue un puissant moyen de renforcement de la voix du secteur privé dans le dialogue politique et économique et dans le renouveau en construction. Un programme d’assistance technique fondé sur les besoins spécifiques des acteurs stratégiques identifiés peut viser la mise aux normes de leur gouvernance, un renforcement de leurs capacités de plaidoyer, ainsi que le soutien à leur structuration et à leur membership pour une efficacité accrue.
L’assistance technique peut comporter des activités de renforcement de capacités, des rencontres de dialogue entre partenaires, du soutien au réseautage, ainsi que des productions d’études complémentaires visant à éclairer la gouvernance du secteur privé.
A cet effet, CIPE et FREE Afrikconstruiront un programme qui donnera suite à la présente étude et prolongera le partenariat entamé au service d’un renforcement du secteur privé dans le dialogue et dans le renouveau en cours au Burkina Faso.

Amoindrir les incidences de l’insécurité sur le secteur privé, renforcer sa résilience et l’impliquer dans la nouvelle gouvernance sécuritaire
La sécurité constitue une condition de base du renouveau politique et économique. Les défis sécuritaires inédits exigent en conséquence une mise aux normes de la gouvernance. Le secteur privé doit être un partenaire de choix impliqué et mobilisé dans le renouveau de la gouvernance sécuritaire et la mise en œuvre de réponses concrètes face à un défi inédit.
Par ailleurs, il est important d’amoindrir les incidences de l’insurrection sur l’activité du secteur privé pour ne pas pénaliser l’économie et le progrès social. Des mesures prises en concertation avec ces secteurs spécifiques sont nécessaires pour réduire les coûts supportés par les entreprises afin que les effets de l’insurrection soient soutenables et compatibles avec l’impératif de la relance des activités.
L’action publique doit assurer la sécurisation des secteurs et des investissements stratégiques (mines, banques, hôtels, zones industrielles et commerciales, transport, etc.), et cela de manière concertée avec les acteurs des secteurs concernés.

Soutenir une intense activité de production de connaissances sur les problématiques qui traversent le secteur privé
La bonne connaissance de l’économie, sur la base d’études de qualité, de travaux scientifiques rigoureux et de données systématiques et de qualité, est indispensable pour appuyer les politiques publiques et la décision privé en faveur du progrès économique et social. Les structures publiques, les organisations patronales et les institutions internationales doivent renforcer leurs actions de production de données et de soutien à la réalisation d’études et de recherches. Des vocations plus nombreuses, des engagements plus forts doivent également sustenter la production de connaissances sur l’économie par les universités, les chercheurs et autres acteurs de réalisation d’études. L’Institut FREE Afrik poursuivra son efforten vue de prendre sa partefforts face à ce défi et de mettre «l’économie au service de la liberté».

Institut FREE Afrik, 18 janvier 2018.

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RAF
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