Tribune

La démocratie libérale en Afrique peut attendre – Par Simplice A. Asongu

YAOUNDÉ – Les décisionnaires de l’Afrique comprennent qu’un leadership économique et politique fort est essentiel à la croissance et à la stabilité. Pendant des années, les économies africaines ont eu de meilleurs résultats que prévu, suite à leur engagement à améliorer leur gouvernance. La question est à présent de savoir comment encourager ce dynamisme.
Les stratégies actuelles ne fournissent pas de réponse proportionnée. Bien que les dirigeants, à une récente Conférence économique africaine à Addis-Abeba (Éthiopie), se soient engagés à maintenir les réformes de gouvernance en tête de l’ordre du jour de l’Afrique, ils n’ont proposé aucun plan-directeur. De mon point de vue, ce vide présente une occasion de considérer de nouveaux paradigmes de gouvernance, notamment ceux qui s’inspirent de deux modèles généralement discutés: le «consensus de Washington» et le «modèle de Pékin».
Les praticiens du développement ont longtemps débattu de la question du modèle censé proposer le meilleur cadre pour la réforme. En termes simples, le terme « gouvernance » se rapporte à un cadre dynamique de règles, de structures et de processus qui aident un gouvernement à contrôler ses affaires économiques, politiques et administratives.
Mais les principes sur lesquels se concentre un gouvernement varient selon l’approche. Le modèle promu par l’Occident attache une grande importance aux droits de l’homme et à la démocratie, alors que celui préconisé par la Chine se soucie plutôt de la stabilité politique et de la croissance économique.
Pour que l’Afrique réoriente son approche de la gouvernance et pour qu’elle adopte un consensus qui succède à celui de Washington, ses dirigeants doivent s’engager à améliorer l’efficacité des institutions et la gestion économique.
Le premier train de réformes doit inclure l’établissement de lignes claires de souveraineté avec les partenaires internationaux. La relation de l’Afrique avec des donateurs occidentaux, par exemple, place historiquement les droits individuels au-dessus des droits nationaux. Mais de mon point de vue, les droits individuels ne doivent pas supplanter les droits souverains. Punir des pays entiers pour des lois qui affectent une minorité est contre-productif.
Un exemple d’une telle punition collective s’est produit en Ouganda en 2014, quand la Banque mondiale a gelé près de 90 millions de dollars de prêts suite à l’établissement par le gouvernement d’une législation criminalisant l’homosexualité. Comme l’a déclaré alors un porte-parole du gouvernement ougandais, la Banque « ne doit pas faire du chantage à ses membres » pour qu’ils adoptent des valeurs occidentales. Pourtant, quand on juge des modèles de gouvernance seulement à l’aune du consensus de Washington, il y a très peu de choix possibles.
Dans le même ordre d’idées, le deuxième train de réformes concerne le fait de donner la priorité aux droits économiques par rapport aux droits politiques. Par exemple, les politiciens qui contrôlent bien une économie ne devraient pas faire l’objet d’une limitation du nombre de leurs mandats. Ni Singapour ni la Chine ne sont des démocraties ; mais les dirigeants dans ces deux pays ont utilisé leur pouvoir politique pour améliorer les niveaux de vie. Forcer des dirigeants à se retirer au milieu de réformes économiques semble contre-productif.
Ces idées ne sont pas farfelues. Actuellement, les dirigeants du Rwanda, un pays qui est largement considéré un exemple de réussite en Afrique, ont amélioré la stabilité en se distanciant de l’approche de consensus de Washington pour leur gouvernance.
Sur le plan politique, le Rwanda est fort, discipliné et organisé, mais il n’est pas libéral. La victoire écrasante à la réélection du Président Paul Kagamé l’an dernier a été davantage une affaire de pouvoir que de démocratie. Bien que Kagamé reste populaire, on a reproché à son gouvernement d’avoir réprimé la liberté d’expression et les droits de l’homme à l’approche des élections. La conclusion que j’en tire n’est pas que les droits de l’homme n’ont pas d’importance, mais que la discipline politique et les formes imparfaites de démocratie sont acceptables si le compromis est un progrès durable en matière de gouvernance économique et institutionnelle.
Nous devons être intellectuellement honnêtes et appeler un chat un chat. Les Rwandais ne doivent pas avoir honte d’accorder de la valeur à la force économique et administrative plutôt qu’à des élections libres et justes. Ainsi la question pour d’autres États africains qui cherchent à reformer leur modèle de gouvernance est de savoir à quel point il faut imiter l’approche du Rwanda. Ni le consensus de Washington, ni le modèle de Pékin ne fournissent toutes les réponses. Mais comme l’a démontré le Rwanda, si la discipline et le fort leadership améliorent les niveaux de vie et œuvrent pour le bien commun, peut-être que la démocratie libérale est une priorité à long terme.

Copyright: Project Syndicate, 2018.
www.project-syndicate.org


Se rapprocher du modèle chinois

Depuis l’élection du président Donald Trump, les États-Unis qui restent l’un des principaux donateurs de l’Afrique se concentrent davantage sur les principes préférés par la Chine – à savoir la stabilité politique, le commerce et l’anti-terrorisme – plutôt que sur les droits de l’homme. Le raisonnement est que le modèle de Pékin est meilleur, à court et à moyen termes, pour l’Afrique. Bien qu’il ne soit pas très populaire de l’admettre, Trump a raison.
Pour le dire simplement, la nourriture, le logement, la santé et de bonnes installations sanitaires sont plus pertinentes pour la plupart des Africains que le droit de vote. En outre, seule une population modérément riche, avec une classe moyenne saine, peut exiger adéquatement les droits consacrés par la démocratie. Paradoxalement, le meilleur moyen de construire une forte classe moyenne en Afrique consisterait à se rapprocher de la hiérarchie des principes que promeut le modèle chinois.o

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