Women In Action

Sur le front de la médecine néonatale, le Bangladesh mise sur les femmes

Contre vents et marées, le Bangladesh a réussi à tourner une page pour les futures mères.

Par Elita Karim pour le Daily Star

Ruby Akthar se souvient encore de l’épreuve qu’a été son premier accouchement. A tout juste 20 ans, isolée dans l’un des nombreux bidonvilles du Bangladesh, elle a essayé de donner naissance à son premier enfant à la maison, sans aucune aide médicale. Mais le bébé se présentait mal et, après des heures à souffrir, elle et sa famille se sont entassées dans un taxi pour traverser un Dhaka étouffant d’humidité et chercher assistance au centre de santé d’une ONG. Aujourd’hui une fière maman, Ruby Akthar sourit en pensant à sa fille de six ans. Sans aide médicale, il est possible que ni la mère, ni la fille n’aient survécu à l’accouchement.

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime que, chaque jour, 830 femmes sont mortes en couches en 2016. Au Bangladesh, une combinaison de facteurs s’est révélée fatale à 6 000 à 7 000 femmes en 2016 : un taux de pauvreté élevé, un accès médiocre aux ressources médicales, de nombreux cas de petites filles mariées, et des préjugés profondément enracinés quant au rôle assigné à chaque sexe. Mais ce pays, qui est l’un des plus pauvres et des plus densément peuplés au monde, est aussi plein de surprises.

Selon le rapport de l’Unicef sur la situation des enfants dans le monde en 2016, le Bangladesh a le taux de mariage infantile le plus élevé au monde. Dans les régions rurales, 74 % des jeunes femmes sont mariées avant leur 18e anniversaire. Les mariages précoces mettent gravement en danger la santé des jeunes filles. Des grossesses multiples, prématurées et rapprochées, accroissent le risque de prolapsus de l’utérus et de fistule obstétricale. Les complications lors de l’accouchement exercent une trop forte pression sur les organes reproductifs, la vessie et le rectum, provoquant l’incontinence. Un état qui peut conduire à l’abandon par le mari, l’ostracisme dans la communauté, voire, dans les cas les plus graves, la mort.

Dans certaines communautés, notamment rurales, les femmes qui recherchent une aide médicale occidentale sont montrées du doigt, ou répugnent à parler ouvertement de leur grossesse ou de tout symptôme inquiétant. Souvent soumises à la pression des aînés du village, les femmes enceintes suivent des rituels de naissance traditionnels. « Chaque soir, après le dîner, je tenais un objet rond ou cylindrique et faisais sept fois le tour de la petite cour devant notre maison », raconte Ruksana Khatun. Selon la croyance familiale, cette coutume garantit un fils en bonne santé. Ruksana Khatun a finalement avorté après avoir découvert qu’elle attendait une fille.

Lors de l’accouchement lui-même, les mères sont parfois violemment secouées par des accoucheuses traditionnelles sous prétexte de libérer le bébé, sans tenir compte du risque élevé de causer une hémorragie ou un prolapsus utérin, et de blesser le nouveau-né.

En dépit des histoires effroyables entourant la santé maternelle, un changement impressionnant est déjà à l’œuvre dans le pays. L’origine présumée de cette transformation surprend beaucoup de monde. Selon le docteur Zafrullah Chowdhury, fondateur de Gonoshasta Kendra (GK), l’une des plus anciennes ONG du Bangladesh, ce sont les violences sexuelles commises en 1971, lors de la guerre d’indépendance du Bangladesh vis-à-vis du Pakistan, qui ont conduit des centaines de milliers de Bangladaises à demander accès à des services de planification familiale. « Bien des évolutions de la pratique médicale ont débuté lors de la guerre. Notre guerre a bousculé les mentalités », explique-t-il. « La culture n’a pas changé, la religion n’a pas changé, mais les mentalités ont changé ». Avec l’attente de planification familiale, et notamment de la possibilité d’avorter, de nombreux professionnels de santé sont arrivés dans les communautés rurales et ont engagé la conversation avec les villageois au sujet des droits, de la santé et de la sécurité des femmes.

Dans la foulée de cette révolution pour la santé des femmes, le Comité bangladais pour le développement rural (BRAC, en anglais), qui est aussi la plus grande ONG au monde, a lancé en 2005 un projet pour améliorer la survie néonatale, des enfants et des mères (IMNCS). Cette initiative, qui vise à réduire la mortalité, notamment dans les villages les plus pauvres et les plus reculés, couvre 25 millions de personnes dans 14 des régions du pays. Les employés du BRAC, qui comporte 70 % de femmes, travaillent dans les communautés locales, qu’elles forment et où elles gagnent ainsi un meilleur accès aux futures mères. Des villageoises apprennent les compétences requises pour travailler comme professionnelles communautaires de santé, professionnelles de santé néonatale et assistantes qualifiées pour les accouchements. Elles rendent régulièrement visite aux mères chez elles avant, pendant et après les naissances.  Leurs services contribuent à combler le fossé entre la capacité actuelle des services gouvernementaux de santé et les besoins d’une population en continuelle expansion.

De telles initiatives ont contribué à inscrire le Bangladesh parmi les quelques pays à avoir atteint deux des objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) : les objectifs quatre et cinq, qui visent à réduire le taux de mortalité infantile et le taux de mortalité maternelle. Ce dernier est aujourd’hui de 170 mères décédées pour 100 000 naissances vivantes, contre une moyenne annuelle de 322 sur la période 1998-2001. Des progrès évidents ont été faits ces 16 dernières années, et le pays se retrouve aujourd’hui bien en avance sur ses voisins Inde et Pakistan en matière de santé maternelle.

Le Bangladesh a encore un long chemin à parcourir. Dans le cas d’une femme sur deux, les décisions médicales liées à la grossesse sont encore prises par le mari. Cependant, ce petit Etat a montré que la formation médicale des femmes sur les questions de santé maternelle est un moyen efficace d’améliorer la vie des mères. Le docteur Chowdhury en est convaincu : « Pour tout ce qui touche à la mortalité maternelle, comme pour tout autre sujet, les femmes sont la clé »,.

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