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Maintien de la paix : ONU ou la radiographie d’une impuissance

 

«Depuis plus de dix ans, les Nations-Unies sont à la résolution des conflits ce que l’homéopathie est au cancer». C’est la déduction à laquelle est parvenue Thierry Vircoulon, chercheur associé à l’Institut français des relations internationales (IFRI) et enseignant en sécurité et conflit en Afrique, Sciences Po-USPC. Dans son document publié le 9 octobre dernier sur le site The Conversation et dans Le Monde, l’auteur affirme qu’en «matière de maintien de la paix, les Nations-Unies sont maintenant au pied du mur».
Une situation qui pour origine la réduction de la contribution de l’administration américaine-principale bailleur de fonds- à l’ONU. Ainsi, l’ONU se voit obliger de revoir ses objectifs à la baisse. Ce qui n’est pas bien vu au niveau du continent africain.

Une approche contre-productive
Vue d’Afrique, cette nouvelle approche peut sembler «dangereuse et même contre-productive au moment où tous les signes précurseurs d’un nouveau conflit sont réunis en République démocratique du Congo (RDC), où la Centrafrique se désagrège lentement mais sûrement et où les accords de paix pour régler les conflits malien et sud-soudanais ne sont toujours pas appliqués deux ans après leur signature», affirme l’auteur dans son document.
Selon lui, depuis la création de son département dédié aux opérations de maintien de la paix (DOMP), les missions de l’ONU s’enlisent et perdent leurs sens.
Pour Thierry Vircoulon, «en Afrique, les derniers succès du maintien de la paix remontent au début du siècle: Sierra Leone, Liberia, Burundi. De ce fait, les cadres du DOMP ont intériorisé l’idée que les missions de maintien de la paix ne sont plus déployées pour résoudre les conflits, mais pour les «stabiliser». Une stabilisation qui est, en réalité, synonyme d’enlisement sur le terrain.
Et de citer plusieurs exemples: la mission de maintien de la paix après Srebrenica (en 1995) et le génocide rwandais (1994), des missions dont les objectifs sont restés illusoires – faute d’être partagé par les pays fournisseurs de Casques Bleus. En 2014, le responsable de la MONUSCO en RDC a dû s’excuser publiquement de la passivité des Casques Bleus lors du massacre de Mutarule. Au Soudan du Sud, un rapport d’enquête de l’ONU sur les violences de juillet 2016 à Juba a mis en évidence le refus des Casques Bleus de répondre aux appels à l’aide. En Centrafrique, au moins une enquête interne est en cours sur le comportement des Casques Bleus lors d’un massacre récent. «Malgré l’ampleur des violences contre les populations réfugiées à proximité ou dans les bases de l’ONU au Soudan du Sud, les quinze membres du Conseil de sécurité ne sont pas parvenus à un consensus lors du vote de la résolution créant une force de protection en 2016. Alors que la protection des civils est vue comme une politique humaniste par une partie des membres du Conseil de sécurité, elle est perçue comme une dangereuse lubie antigouvernementale par l’autre partie (en particulier la Russie et la Chine)».

Après les Etats-Unis, à qui le tour ?
Après la dernière Assemblée générale de l’ONU, tout indique que le consensus négatif – ni désengagement ni volontarisme politique – qui rend inefficaces les missions de maintien de la paix va durer. En Afrique, les missions de maintien de la paix vont continuer à faire un médiocre travail de gardiennage d’Etats qui n’existent plus ou existent à peine, à force d’être systématiquement pillés depuis l’indépendance par une coalition d’élites locales et de profiteurs étrangers.
«Confrontée à cette impasse, l’administration américaine en a tiré la conséquence qui s’imposait: se désengager financièrement.
Elle risque de ne pas être la seule à choisir cette voie», conclut le chercheur.

NK


L’absence de stratégie

Dans de nombreux cas, les missions de maintien de la paix n’ont tout simplement pas de stratégie de résolution du conflit. Elles jouent un rôle de substitut aux pressions politiques que les grands acteurs internationaux ne veulent pas faire sur leurs «pays clients» et à l’absence de stratégie de résolution de conflit.
Le meilleur indice de cette absence est le mandat des missions. Tel que défini par le Conseil de sécurité, ce mandat n’est qu’un copié-collé de mandats précédents dans d’autres pays. Les mandats de la MINUSCA, de la MONUSCO et de la MINUSMA sont à 80 % les mêmes : programme de désarmement, démobilisation et réinsertion des groupes armés, réforme du secteur de la sécurité, justice transitionnelle, promotion des droits de l’homme, etc. Peu importe que les conflits, les acteurs et les pays soient différents, l’ONU promeut toujours le même modèle de paix (Peace Template) ; du Mali à la RDC.o
Des missions par lesquelles le scandale arrive

«En s’enlisant, les missions font plus partie du problème que de la solution. Leur gouvernance se révèle problématique. D’une part, elles deviennent des machines à scandales et perdent leur crédibilité. En zone de guerre, le temps contribue à l’enracinement des mauvaises habitudes et à la consolidation des intérêts, y compris de ceux des Casques Bleus. A New York, les missions de maintien de la paix sont celles par lesquelles le scandale arrive : information biaisée et dissimulée sur les crimes au Darfour (MINUAD), refus de protéger les civils au Soudan du Sud (MINUSS) et trafics et abus sexuels en Centrafrique et au Congo (MONUSCO et MINUSCA).
Une rapide recherche sur Internet montre que les missions de maintien de la paix défraient plus la chronique pour leurs abus sexuels que pour avoir rétabli la paix. A ce titre, la MONUSCO détient le record: sur un total de 2.000 accusations d’abus sexuels portées contre les Casques Bleus depuis douze ans, 700 proviennent du Congo. Loin d’être inconnus des populations et du gouvernement, les dérapages des Casques Bleus contribuent à leur discrédit local et offrent un intéressant levier de chantage. Comme le DOMP est la machine à scandales de l’ONU, on se demande pourquoi la diplomatie française y tient tant.
D’autre part, malgré les promesses qu’elles claironnent, les missions finissent par ne plus être un acteur de changement, mais de conservation. Depuis 1999, les Nations-Unies ont dépensé 15 milliards de Dollars dans une mission de maintien de la paix en RDC, sans parvenir à neutraliser les groupes armés et à démocratiser le régime. Leur leadership penche presque toujours du côté du pouvoir en place et leur neutralité est vite compromise par de petits arrangements.

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