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Ablassé Ouédraogo: «Notre économie fait face à de nombreux problèmes»

 

La situation économique du Burkina Faso inquiète toutes les couches de la société. Après l’insurrection populaire et la transition, les populations avaient placé leurs espoirs dans le retour à la normalité après les élections. Toutefois, les choses tardent à se concrétiser. Pour comprendre la situation qui prévaut, L’Economiste du Faso s’est entretenu avec l’économiste Ablassé Ouédraogo. Ce docteur et politicien donne sans détours, dans cette interview, sa vision de la situation économique du pays.

– L’Economiste du Faso: Quelle est votre analyse de la situation économique actuelle du pays ?
Ablassé Ouédraogo : On ne peut pas dire que l’économie burkinabè se porte très bien en ce moment, au regard d’un certain nombre d’indicateurs sur la vie sociale du pays. Elle est même dans une situation chaotique. Et l’on peut même affirmer sans risque de se tromper que le Burkina Faso et son économie représentent des préoccupations sérieuses.
Le président du Faso, Roch Marc Christian Kaboré, lui-même, a confié lors de sa visite de travail à Paris du 5 au 7 avril 2016, dans un entretien avec Cyril Bensimon paru dans le journal «Le Monde» du 8 avril 2016, que : «Si on n’aide pas le Burkina Faso, ce sera la chronique d’un échec annoncé». Cette déclaration sonne comme un aveu d’impuissance et il faut féliciter le chef de l’Etat pour son réalisme et sa bonne perception de la situation politique, économique et sociale très difficile que traverse notre chère patrie aujourd’hui. Le Burkina Faso ne doit pas échouer à cette étape de son histoire s’il veut donner un avenir à ses enfants.
Les populations se plaignent de la morosité, voire de la «rochosité», de notre économie qui reste désespérément plombée. L’argent n’aime pas le bruit et la réalité est qu’il n’y a pas de flux financiers conséquents et suffisants pour faire tourner convenablement l’économie. Ceci est d’autant plus vrai que la loi de finances rectificative n’a été votée que le 19 avril 2016 par l’Assemblée nationale. Les populations laborieuses vivent dans l’angoisse et l’anxiété parce que la solvabilité de l’État est ainsi réduite et les opérateurs économiques s’impatientent au vu de l’augmentation inquiétante du volume de la dette intérieure qui pourrait à terme asphyxier l’activité économique du pays.

– Qu’en est-il de la question sécuritaire ?
La situation sécuritaire, l’autre face du développement, n’est pas des meilleures avec les attentats vécus depuis le début de l’année 2016 au Burkina Faso, de même que la recrudescence des actes terroristes et du grand banditisme dans la région du Sahel. La peur s’installe de plus en plus avec la faillite avérée de l’Etat dans la gestion de la sécurité individuelle et collective des Burkinabè et de leurs biens, à laquelle s’ajoutent la défiance permanente à l’autorité de l’Etat et l’incivisme grandissant.
Dans ce contexte inquiétant et troublant pour la population, l’on assiste à la fluctuation à la hausse des prix des produits de première nécessité (riz, maïs, huile, etc..) sur le marché: ce qui conduit à une inflation incontrôlée. Cette situation est aggravée avec les conséquences négatives engendrées par les difficultés inhérentes à la mise en œuvre de la plateforme SYLVIE pour la taxation des marchandises importées, sans mesures transitoires ou aménagées. Et si la situation ne trouve pas de solution rapidement, il faut craindre l’installation d’une pénurie organisée des produits sensibles, au grand-dam des populations. Le climat social se dégrade au fil des jours sans que l’on arrive à percevoir une lueur d’espoir pour le peuple dont les attentes et la demande sociale au sortir de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 demeurent très fortes. À l’horizon, il y a des grèves annoncées et nous vivons toujours les incendies à répétition des marchés, yaars et habitations, tandis que le Plan national de développement économique et social (PNDES) du gouvernement tarde à voir le jour au moment même où la confiance entre les gouvernants et les partenaires techniques et financiers a du mal à s’installer. Et j’en passe. Rappelons qu’un des arguments que les partenaires du Burkina Faso avançaient pour pouvoir venir en aide au pays était l’adoption de la loi de finances rectificative au mois d’avril 2016. Cette condition a été satisfaite le 19 avril 2016. Mais il faut reconnaitre froidement que de la prise de fonction du président du Faso, le 29 décembre 2015, et de son gouvernement à ce jour, l’Administration publique n’a pas pu engager d’actions sérieuses pour défaut de loi de finances.
Reconnaissons tout de même que, quatre mois pour résoudre cette question dans un quinquennat, c’est beaucoup trop, surtout quand on sait d’où vient le Burkina Faso et qu’on apprécie les attentes des populations en termes d’accès à la santé, à l’éducation, à l’eau potable, à l’emploi, à l’alimentation et au logement décent. La période de la transition a été essentiellement consacrée à la politique avec l’organisation des élections, si bien que les questions économiques et de développement n’ont pas été prises en charge.
Bref, pour tout dire, l’économie du Burkina Faso fait face à de nombreux problèmes. C’est donc une économie exsangue, au firmament de turbulences et d’incertitudes.

– Tous les espoirs étaient placés dans les élections pour une relance économique. Cependant, plus de quatre mois après les élections, la situation économique n’a pas réellement évolué. Selon vous, qu’est-ce qui explique cela ?
Oui, c’est vrai que les élections réussies par notre pays en novembre 2015 auraient pu être un des facteurs qui pouvaient nous garantir une relance économique rapide avec l’accompagnement des partenaires étrangers. Mais à côté de cela, l’on oublie très vite que l’État a été gouverné pendant 27 ans par un régime dont le peuple insurgé avait demandé les 30 et 31 octobre 2014 la déstructuration. «Rien ne sera plus comme avant». Il se trouve que le régime n’a finalement pas été déstructuré et nous vivons la continuité du régime Compaoré, surtout dans ses systèmes politiques et économiques qui ont encore de beaux jours devant eux avec la gouvernance en place. Les systèmes militaire et sécuritaire sont tombés avec l’échec du coup d’Etat du 17 septembre 2015. Et même sur la loi de finances rectificative adoptée récemment, l’on peut émettre des doutes sur sa pertinence et surtout sa faisabilité. Est-ce que les nouveaux dirigeants ont suffisamment maîtrisé l’appareil d’État pour produire une loi de finances rectificative conséquente et à même de juguler la crise profonde que nous traversons ? Les réserves étaient-elles seulement au niveau des insuffisances de programmation de lignes budgétaires annoncées urbi et orbi par la transition et qui n’ont pas figuré dans la loi des finances finale, ou existe-t-il d’autres surprises ailleurs ?
Dans un contexte aussi délicat et difficile, je pense humblement que ce qui pouvait sauver le Burkina Faso serait bien de mettre en œuvre une gestion inclusive de la période actuelle en impliquant effectivement dans la gouvernance tous les acteurs politiques majeurs, en ayant à l’esprit que c’est ensemble que nous sommes forts pour relever avec succès les défis du moment. Et s’il s’avérait qu’il y avait d’autres erreurs dans la budgétisation de notre économie, nous risquons de trainer ces erreurs de gestion pendant quelque temps encore.

– Avec les différentes crises que le pays a connues, est-ce que les Partenaires techniques et financiers (PTF) ont toujours confiance au Burkina Faso ?
Il est clair que les PTF se posent beaucoup de questions sur le Burkina Faso d’aujourd’hui et certainement qu’un travail de fond est nécessaire pour améliorer le climat de confiance qui s’est détérioré ces derniers temps malgré la réussite des élections de novembre 2015.
La dégradation du climat de confiance s’illustre parfaitement par le fait que notre pays ne bénéficie pas actuellement des mêmes facilités et de la même confiance auprès des institutions de financement qu’avant l’insurrection populaire de fin octobre 2014. La confiance entre les PTF et le Burkina Faso est fondamentale et incontournable pour la mobilisation réussie des ressources financières et des investissements nécessaires au développement de notre pays. Pour ce faire, le Burkina Faso devra remplir impérativement trois conditions:
vivre une situation de paix et de cohésion sociale, connaître et bâtir une stabilité politique, renouer avec les impératifs de sécurité et vivre dans la quiétude et la sérénité.
Ces conditions, qui dépendent fortement de la gouvernance du pays, attendent toujours d’être remplies.
Il s’y ajoute la nécessité d’avoir une meilleure gestion des ardoises des dettes intérieure et extérieure afin de soutenir et de booster les activités pour la relance économique. Sur la question sécuritaire qui est une profonde préoccupation, il est admis que c’est la faillite de l’Etat dans la gestion de la sécurité nationale qui fait le lit des Kogl-Weogo que le ministre de la Sécurité, Simon Compaoré, dit vouloir encadrer et ne pas dissoudre. Et là, on est en droit de se poser toutes les questions et notamment sur le fait que le gouvernement veuille encadrer une structure qui n’existe pas selon lui, donc encadrer du vide. Les inquiétudes s’amoncèlent dans le domaine de l’insécurité et ces vicissitudes éloigneront encore pendant longtemps nos partenaires extérieurs et les investisseurs. Pire, et c’est cela le comble pour notre pays, les opérateurs économiques burkinabè ont commencé à délocaliser leurs activités et investissements dans les pays voisins. Cela est davantage inquiétant.

– Pourquoi la relance économique tarde-t-elle à se faire ?
Pour un pays qui se remet d’une situation de crise de légitimité et de légalité politique de ses dirigeants, et qui espérait connaître une relance économique rapide à la suite d’élections réussies, la situation est tout autre et rien n’est encore moins sûr. A travers les élections, la question de la légalité a été résolue, mais pas celle de la légitimité.
La réalité est qu’une bonne partie de notre population, qui aspire au changement et à la rupture, estime, et à juste titre, que les autorités en place, bien que légales, ne sont pas investies de la légitimité dont elles devraient jouir pour conduire notre pays à cause de leur forte implication dans la gestion des affaires publiques du Burkina Faso d’avant-insurrection. Dans ces conditions, il est difficile de parler de relance économique qui ne peut s’opérer que s’il y a un socle de confiance à l’intérieur. Il faut que les Burkinabè aient confiance en eux-mêmes à titre individuel et entre eux mutuellement et collectivement. Il faut bâtir l’unité de la nation pour avoir des ambitions nationales qu’il faut réaliser avec tous les Burkinabè sans exclusion. Ce qui est loin d’être le cas dans le Burkina Faso d’aujourd’hui où les problèmes de justice et de réconciliation ne trouvent pas de solutions perceptibles pour l’instant aux yeux de la population. Quelque part, les cœurs ne sont pas apaisés et les rancunes sont encore vivaces. C’est un gros danger. Le peuple insurgé a réclamé le changement et la rupture dans la gouvernance de notre pays. Et le manque de légitimité des autorités actuelles fait que celles-ci ne peuvent pas apporter le changement et la rupture attendus par le peuple. Ainsi, et dans l’intérêt général, les uns et les autres devraient accepter d’être humbles et conjuguer leurs efforts pour remettre ensemble le pays sur de bons rails, si la volonté de tous est de construire un Burkina Faso de paix, de stabilité, de sécurité et de solidarité, pour le bonheur du peuple. Tous les Burkinabè ont un rôle à jouer dans la construction du pays et chacun d’entre nous doit être utilisé en tenant compte de ses capacités et de ses compétences.
Il faut mettre l’homme et la femme qu’il faut à la place qu’il faut, au moment qu’il faut, dans l’intérêt supérieur de notre nation et bannir les pratiques partisanes et de copinages d’antan qui ont certainement alimenter l’insurrection populaire d’octobre 2014.

Propos recueillis par Germaine BIRBA


 

 

Booster l’économie et redonner confiance aux investisseurs, la recette d’Ablassé Ouédraogo

Pour booster l’économie du pays, il est important que le président du Faso présente un plan pour mettre en œuvre son projet de société. Or, le PNDES qui est censé porter ce plan est déjà mis en doute par les partenaires techniques et financiers qui demandent au gouvernement de revoir le choix des priorités, sans qu’aucune explication ne soit donnée aux citoyens, selon le docteur en économie Ablassé Ouédraogo.
Pour lui, «le chamboulement des priorités entrainera certainement un changement dans les coûts et dans la budgétisation; ce qui, toute chose égale par ailleurs, fait que le Burkina Faso n’est pas encore sorti de l’auberge.
Pour résoudre le problème, le plan doit être relu pour prendre en compte effectivement les observations des PTF, mais tout en maintenant les priorités fondamentales répondant aux besoins ultimes des populations. Il faut espérer seulement que le temps de la relecture de ce plan ne soit pas plus long que celui de sa phase d’élaboration. Il est nécessaire également de réconcilier les Burkinabè entre eux pour relancer l’économie. Nous nous sommes ligués contre un régime, avec ses insuffisances. Ce régime est parti, alors il faut reconstruire le pays ensemble. La réconciliation s’entend que la justice doit faire son travail et tout Burkinabè, qui est en froid avec la justice, doit lui faire face. C’est indéniable et incontournable.
En clair, notre pays ne connaîtra pas de relance économique s’il n’est pas un havre de paix dans lequel tous les Burkinabè acceptent de se donner la main pour travailler, s’organiser et s’imposer une discipline pour impulser le redressement de leur beau pays, avant de solliciter l’aide et l’accompagnement des autres, c’est-à-dire des PTF et des pays amis dans le monde. Les Burkinabè doivent se remettre tous au travail. Le succès de la relance des activités économiques d’un pays prend son fondement dans le socle de confiance à bâtir ensemble en interne et avec l’extérieur. Et le Burkina Faso ne peut pas échapper à cette règle. Mais nous avons bon espoir et les Burkinabè ont l’avenir du Burkina Faso entre leurs mains».

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