Economie

Prix de transferts: les solutions de l’OCDE contre l’évasion fiscale

Le Centre de rencontres et d’études des dirigeants des administrations fiscales (CREDAF) et l’OCDE estiment que, chaque année, les pratiques fiscales d’évitements opérées par les multinationales font perdre aux Etats entre 100 et 240 milliards de Dollars de recettes fiscales ; soit l’équivalent de 4 à 10% du montant des recettes tirées de l’impôt sur les sociétés à l’échelle mondiale. Présente à Ouagadougou dans le cadre d’une formation sur les prix de transferts, Samia Abdelghani, conseillère fiscale Division des relations internationales & du développement du Centre de politiques et d’administrations fiscales (OCDE) s’est prêtée aux questions de L’Economiste du Faso. En quoi consiste cette forme d’évasion fiscale ? Quels en sont les causes, les facteurs favorisants et les solutions pour les Etats ? Lisez plutôt !

L’Economiste du Faso: Qu’entend-on par prix de transferts ?
Samia Abdelghani, conseillère fiscale Division des relations internationales & du développement de l’OCDE: Les prix de transferts sont les prix de facturations internes entre des sociétés d’un même groupe implantées dans des juridictions fiscales différentes. Ils supposent donc des transactions intra-groupes et le franchissement d’une frontière. Dans la mesure où les sociétés d’un même groupe forment une même entité économique et ne sont donc pas indépendantes les unes des autres, elles n’ont aucun intérêt à établir des prix de cessions internes reflétant les conditions du marché. En revanche, les Etats ont intérêt à ce que ces prix de cessions aboutissent à ce que chaque territoire puisse taxer la création de valeur qui lui revient.
C’est sur la base de ce principe que, en 1928, une commission d’experts de la Société des Nations proposa d’établir le principe de pleine concurrence, obligeant en quelque sorte les multinationales à «jouer à la marchande». Ce qui, à l’origine, était un fardeau pour les entreprises s’est de ce fait transformé en une massive opportunité d’optimisation; en particulier dans un contexte de compétition fiscale.

Donnez-nous des cas pratiques.
Parmi les stratégies d’optimisation fiscale adoptées par certaines multinationales figurent notamment le transfert d’actifs incorporels et d’autres actifs mobiles difficiles à valoriser, vers des pays où ils peuvent bénéficier d’un régime fiscal favorable, la surcapitalisation d’entreprises du groupe faiblement taxées ou encore l’attribution contractuelle des risques à des sociétés du groupe situées dans des pays à fiscalité faible à la faveur de transactions dans lesquelles des parties indépendantes ne s’engageraient sans doute pas.
Outre le fait qu’elles sapent les bases d’imposition par les Etats et entravent l’investissement, la croissance et l’emploi, de telles stratégies d’optimisation fiscale se traduisent par un report de la charge fiscale sur les bases d’impositions les moins mobiles (travail, consommation) et sur les entreprises qui opèrent essentiellement à l’échelle nationale (TPE/PME).

Quels en sont les causes et les facteurs favorisants ?
Les règles de fiscalité internationale, dont beaucoup puisent leurs origines des principes élaborés par la Ligue des Nations dans les années 1920, n’ont pas suivi les évolutions liées à la mondialisation et aux changements technologiques. Elles ont révélé des faiblesses que les multinationales exploitent pour réduire artificiellement leurs impôts.
Les pratiques d’érosion de la base d’imposition et de transferts de bénéfices auxquelles se livrent les multinationales se rapportent principalement aux circonstances dans lesquelles les interactions entre des règles fiscales différentes débouchent sur une double non-imposition ou sur une imposition insuffisante.
Elles recouvrent également les dispositifs utilisés pour aboutir à un impôt nul ou faible en transférant des bénéfices hors des pays dans lesquels se déroulent les activités qui génèrent ces bénéfices.
En soi, une fiscalité nulle ou faible n’est pas un problème. Mais, elle le devient si elle se double de pratiques qui séparent artificiellement le bénéfice imposable des activités qui le génèrent ; lesquelles pratiques érodent les bases d’imposition et affaiblissent les autorités publiques déjà en difficultés.

Quel est l’impact de ces pratiques sur l’Afrique, le Burkina Faso et les pays sous- développés?
Chaque année, les pratiques d’évitement fiscal des entreprises font perdre aux États entre 100 et 240 milliards de Dollars de recettes fiscales, soit l’équivalent de 4 à 10% du montant des recettes tirées de l’impôt sur les sociétés à l’échelle mondiale. Étant donné que les pays en développement sont davantage tributaires des recettes de l’impôt sur les sociétés, on peut considérer que l’impact du phénomène d’érosion de la base d’imposition et de transferts de bénéfices (plus connu sous l’acronyme anglais de BEPS: Base Erosion and Profit Shifting) sur ces pays, en pourcentage du PIB, est même supérieur.
Il est désormais reconnu que le phénomène de BEPS affecte tant les pays développés que les pays en développement. Il porte préjudice aux États dont les recettes sont amputées. Il porte préjudice aux citoyens qui doivent supporter un transfert de la charge fiscale. Enfin, il porte préjudice aux entreprises elles-mêmes : elles font face à un risque pour leur réputation, avec l’attention accrue des médias ; alors que les entreprises locales souffrent d’une distorsion de concurrence face aux multinationales.

Quelles sont les solutions à ce problème ?
Comme nombre de stratégies d’érosion de la base d’imposition et de transferts de bénéfices consistent à tirer profit de l’interaction entre les règles fiscales des différents pays, des réactions unilatérales et non coordonnées émanant d’États agissant de manière isolée pourraient créer un risque de double, voire de multiple, imposition pour les entreprises. Un tel phénomène aurait également des répercussions négatives sur l’investissement et, partant, sur la croissance et sur l’emploi au niveau mondial.
Dans ce contexte, une approche internationale coordonnée est apparue nécessaire en vue de faciliter et de renforcer les mesures prises à l’échelle nationale pour protéger les bases d’imposition, mais également pour proposer des solutions internationales exhaustives susceptibles d’empêcher efficacement la double non-imposition et les cas d’impositions faibles ou nulles associés à des pratiques qui séparent artificiellement les bénéfices des activités qui les génèrent.
C’est l’objet du plan d’actions BEPS de l’OCDE et du G20 qui a été entériné par les dirigeants du G20 en septembre 2013. Ce plan d’actions recense 15 actions qui s’articulent autour de trois grands objectifs : assurer la cohérence internationale de la fiscalité des entreprises afin de compléter les règles qui empêchent la double imposition par un nouvel ensemble de normes destinées à éviter la double non-imposition ; réaligner les règles fiscales sur la substance économique afin que les bénéfices soient imposés là où les activités économiques qui les génèrent sont exercées et là où la valeur est créée, et enfin améliorer la transparence tout en procurant aux entreprises la certitude et la prévisibilité dont elles ont besoin pour prendre leurs décisions d’investissement. Au terme de deux années de travaux, l’OCDE a publié, le 5 octobre 2015, les rapports finaux détaillant les recommandations relatives aux 15 mesures identifiées dans son plan d’actions.
Afin de faciliter la mise en œuvre de ces mesures, l’OCDE a créé en début 2016, à la demande du G20, un cadre inclusif sur le BEPS qui compte aujourd’hui 112 pays et juridictions dont plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest parmi lesquels le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Liberia, le Nigeria, le Sénégal et la Sierra Leone. L’implémentation des mesures issues du projet BEPS passe par des modifications des cadres législatifs des États membres, mais également des conventions fiscales de non double imposition.
À cet égard, afin de mettre en œuvre rapidement les mesures issues du projet BEPS, relatives aux conventions fiscales, et de réduire les possibilités d’évitement fiscal des multinationales, l’OCDE a élaboré la convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales pour prévenir les pratiques de BEPS ; laquelle convention a été signée à ce jour par 72 pays et juridictions dont le Burkina Faso.

Propos recueillis par Crépin SOMDA


L’objectif de la formation

L’atelier sur les prix de transferts, organisé conjointement par l’OCDE, le CREDAF et la direction générale des impôts du Burkina Faso, du 19 au 21 février 2018, à Ouagadougou, a pour objet de renforcer les capacités des fonctionnaires des administrations fiscales des pays membres du CREDAF dans le domaine du contrôle des opérations internationales. Cet atelier comporte, d’une part, un volet théorique qui a pour but de présenter aux participants les standards internationaux en matière de prix de transferts et, d’autre part, des études de cas afin de les confronter à des problématiques concrètes de prix de transferts et d’établissements stables qu’ils sont susceptibles de rencontrer dans leurs pays respectifs.

 


Qui est Samia Abdelghani ?

Samia Abdelghani est conseillère fiscale au sein du centre de politiques et d’administrations fiscales de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), où elle est en charge des programmes d’assistance technique dans le domaine de la fiscalité internationale destinés aux pays en développement. Avant de rejoindre l’OCDE, Samia Abdelghani était en poste au sein de la direction générale des finances publiques de France. Elle a, par ailleurs, été chargée d’enseignement en fiscalité internationale à l’Université Paris-Dauphine.

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