Tribune

Tuer les moustiques tueurs – Par Melvin Sanicas

SINGAPOUR – La taille du moustique est insignifiante, mais sa piqûre est violente.  Les moustiques véhiculent quantité de maladies – le chikungunya, la dengue, le paludisme, la fièvre jaune, la fièvre du Nil occidental et le virus Zika – qui, prises ensemble, tuent chaque année des millions de personnes. Le paludisme est l’une des principales maladies infectieuses mortelles dans le monde (derrière toutefois la tuberculose et le sida), responsable en 2015 de 429.000 décès. Étant donné l’échelle et l’étendue du problème, une action déterminée afin d’éliminer les moustiques – et les maladies qu’ils transmettent – apparaît comme une évolution nécessaire. Les pouvoirs publics doivent, le cas échéant, indemniser les populations locales touchées par les épidémies, financer la recherche dans les soins et la prévention d’épidémies, faire face à l’augmentation des soins de santé et poursuivre les programmes d’aide aux patients ; tandis que l’économie souffre d’une productivité réduite.
L’élimination des maladies propagées par les moustiques doit donc figurer en tête des priorités, et non seulement déclencher l’action efficace des pouvoirs publics, mais aussi susciter une réponse de la société civile, l’engagement du secteur privé et la participation des populations touchées. Outre une collaboration efficace, une veille renforcée et un surcroît d’innovation, notamment en ce qui concerne le diagnostic, les médicaments et les vaccins, les insecticides et la lutte contre le vecteur.
Fort heureusement, des innovations prometteuses voient déjà le jour dans la lutte contre le vecteur – c’est-à-dire l’éradication du moustique. L’une d’elles utilise une bactérie nommée Wolbachia, qui permet soit de bloquer la prolifération des virus mortels, soit de réduire la population de moustiques.
Wolbachia est présente chez 60% des espèces d’insectes, dont certains moustiques. Le moustique Aedes aegypti, responsable de la transmission à l’humain des virus de la dengue, du chikungunya et de la fièvre jaune, ainsi que du virus Zika, fait en revanche partie des espèces chez lesquelles la bactérie n’est pas présente naturellement.
Des études montrent que lorsque Wolbachia est introduite dans l’organisme d’un moustique Aedes aegypti, elle peut y empêcher la croissance des virus transmissibles à l’humain. Une autre méthode pourrait consister à lâcher un grand nombre de moustiques mâles porteurs de la bactérie Wolbachia : les femelles avec lesquelles ils s’accoupleront seront incapables de procréer.
Autre innovation : un vaccin nommé AGS-v, mis au point par le laboratoire pharmaceutique SEEK, installé à Londres, pour prévenir une série de maladies transmises par les moustiques. Ce vaccin est conçu pour déclencher une réponse immunitaire à la salive du moustique, prévenant ainsi l’infection par le virus, quel qu’il soit, contenu dans cette salive.
Comme pour Wolbachia, les chercheurs considèrent que l’AGS-v pourrait réduire les populations de moustiques. Lorsqu’un moustique s’est nourri du sang d’une personne vaccinée, les anticorps attaquent les protéines de sa salive, restreignant ses capacités à se nourrir et à déposer ses œufs – conduisant ainsi à sa mort prématurée. La première phase des essais cliniques du vaccin, parrainée et financée par l’Institut national des maladies allergiques et infectieuses, a démarré au mois de février.
Une troisième innovation consiste essentiellement en un piège à moustiques intelligent, capable de ne capturer que les espèces responsables de la propagation du virus Zika et d’autres maladies. Le prototype, qui fait partie du programme de recherche Microsoft’s Project Premonition, utilise un rayon infrarouge pour identifier les espèces concernées, avec 80% de réussite. Lorsque le piège parvient à capturer l’un de ces moustiques, il collecte les données liées à l’événement, comme l’heure, la température, le taux d’humidité ou l’éclairement, afin d’améliorer la compréhension qu’ont les chercheurs du comportement de l’insecte et, par conséquent, leur capacité à prévenir les poussées épidémiques potentielles.
Ces innovations sont vouées à hâter substantiellement le cours de la lutte contre les maladies mortelles transmises par les moustiques. Mais on ne peut prévoir dans quelle mesure elles seront appliquées. Car les dispositions plus élémentaires, que les personnes peuvent prendre elles-mêmes pour leur sécurité et celle de leur famille, sont loin d’être mises en œuvre avec une constance suffisante.
Ainsi, comme les moustiques ont besoin d’eau pour se reproduire, les gens devraient-ils supprimer les flaques et les accumulations d’eau stagnante aux abords de leurs domiciles, percer les pneus abandonnés, nettoyer les vasques et vider les piscines. Des larvicides peuvent être répandus directement sur l’eau à l’aide de pulvérisateurs à dos, et l’introduction de poissons dans les mares, notamment au voisinage des habitations, peut aussi contribuer à l’élimination des larves.
Quant aux moustiques adultes, la tonte des pelouses et la taille des arbustes restreignent leurs possibilités de s’y abriter ; et, par conséquent permettent de limiter leur prolifération. Des moustiquaires peuvent être montées sur les cadres de fenêtres et de portes, et le matin ou le soir, aux moments où les moustiques sont les plus actifs, on peut éviter de s’exposer à l’extérieur. Lorsque demeurer à l’intérieur est impossible, des manches longues, des pantalons longs et des répulsifs peuvent contribuer à éviter les piqûres.
Ces techniques ne sont pas infaillibles, mais elles peuvent beaucoup aider à protéger les personnes ; à condition que celles-ci s’en servent. Il faut pour cela diffuser le plus largement possible l’information et faire en sorte que les produits nécessaires soient disponibles.
Le mois dernier a marqué le cent-vingtième anniversaire de la découverte du rôle du moustique femelle dans la transmission aux humains du paludisme. Depuis cette avancée, le paludisme et d’autres maladies transmises par les moustiques ont pu être combattus et même éliminés dans les pays développés. En revanche, dans les pays en développement, la lutte n’est pas terminée, loin s’en faut.

Traduction : François Boisivon
Copyright: Project Syndicate, 2017.
www.project-syndicate.org


830.000 décès chaque année

L’Organisation mondiale de la santé classe les moustiques parmi les principales menaces à la santé publique dans les pays en développement. Comme le rappelle un diagramme publié l’année dernière sur le blog de Bill Gates, les moustiques sont responsables chaque année de 830.000 décès – 250.000 de plus que ceux dont l’homme est lui-même la cause.
Outre leurs énormes coûts humains, les maladies transmises par les moustiques ont d’importants coûts économiques qui comprennent, pour un individu infecté, les dépenses liées au traitement et à la prise en charge hospitalière, le transport pour aller à l’hôpital ou à la clinique et en revenir, le temps passé en dehors de son travail et les bombes insecticides ou les moustiquaires qui servent de protection contre de nouvelles piqûres et de nouvelles infections.
Chaque année, les maladies transmises par les moustiques coûtent des millions de Dollars – sinon des milliards de Dollars – aux pays où elles sévissent. Les pouvoirs publics doivent financer la lutte contre les moustiques et les programmes de prévention, depuis l’usage d’insecticides à la distribution de moustiquaires, mais aussi les campagnes de sensibilisation et de vaccination (S’il n’existe pas de vaccin disponible à grande échelle contre le paludisme, trois pays doivent participer à un programme pilote d’immunisation à partir de 2018, et certaines des maladies transmises par les moustiques – comme la fièvre jaune, l’encéphalite japonaise et la dengue ; qui peuvent être évitées grâce aux vaccins).

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