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Fiscalité : les griefs du SNAID

 

Les conditions de vie et de travail des agents des impôts et des domaines, les nouvelles taxes instituées par le gouvernement Thiéba, les exonérations accordées à une certaine catégorie de personnes, l’exonération des frais de douanes, de la TVA pour les importateurs de véhicules poids lourds, la relecture de la fiscalité du secteur informel ont été abordés au cours d’une interview, le 17 octobre 2016, à Ouagadougou, avec Nongo Grégoire Traoré, Secrétaire général du Syndicat national des agents des impôts et des domaines (SNAID).

L’Economiste du Faso : Quel est l’état d’esprit des agents des impôts et des domaines dans un contexte où l’Etat attend beaucoup d’eux dans la mobilisation des ressources financières en vue de bâtir les chantiers du développement ?
Nongo Grégoire Traoré, SG du SNAID: Notre état d’esprit est à l’image de celui des autres populations burkinabè. Ce, dans un contexte post-insurrectionnel et de résistance au putsch du Général Gilbert Diendéré. Mais particulièrement au niveau des impôts, nous souhaitons que le recouvrement des taxes soit efficace tout en accordant les moyens de travail à tous les agents, quels que soit les postes qu’ils occupent.
Malheureusement, ce n’est pas le cas. Avec les nouvelles autorités, nous avons constaté une remise en cause des acquis des travailleurs. D’abord, aux niveaux des motivations financières, des moyens de travail, de la mise en œuvre de certains textes fondamentaux. Ce sont donc des sentiments de regret et de détermination qui animent les agents.

Dans quelles conditions les agents des impôts et des domaines travaillent-ils ?
Comme nous l’avons souligné, dire aujourd’hui qu’il n’y a pas d’argent ne devrait pas être un motif pour ne pas donner les moyens à ceux qui doivent recouvrer l’impôt. C’est comme si vous ne voulez pas de ressources. Ceux qui font le travail disent qu’il y a des ressources dans le pays. Il faut leur donner les moyens d’aller chercher ces ressources-là, au bonheur de tout le monde. L’argument selon lequel il n’y a pas d’argent est comme si vous dites que ceux qui font le travail qu’ils n’ont qu’à dormir ! D’où va venir l’argent ? Il faut qu’on puisse mettre l’argent suffisamment à la disposition de ceux qui doivent aller recouvrer les impôts. Il y a des agents aujourd’hui qui travaillent dans les toilettes pour recevoir de l’argent des contribuables. Il y en a qui sont même dans les bas-fonds. Pour aller sur le terrain, il y en a qui n’ont pas de carburant. Ils n’ont pas de motos de service et ils doivent sortir avec les leurs pour aller recouvrer l’argent. Il n’y a pas la sécurité. Comment un agent peut-il trimballer des millions dans un sac sur sa propre moto sans être accompagné par les forces de l’ordre ? Les agents n’ont pas du matériel informatique dans un milieu ultra-informatisé qu’est le secteur privé. Face à ce tableau sombre, comment voulez-vous que notre administration fiscale soit efficace par rapport aux objectifs qui lui sont assignés ?

Dans une déclaration, vous affirmiez que « le MPP veut faire payer les frais de la mal gouvernance économique au peuple ». Pourquoi ?
Vous avez certainement suivi les autorités qui ont dit que les signaux de notre système économique sont au rouge. Cela veut dire que ça ne va pas dans le pays. Si ça ne va pas, cela veut dire qu’il faut trouver des solutions. Mais la question qu’il faut se poser est: qu’est-ce qui a fait que l’économie est à genoux ? Qu’est-ce qui a entrainé ces signaux au rouge ? Au lieu de s’attaquer à ces causes, les nouveaux gouvernants s’appuient sur de nouvelles taxes pour faire payer davantage les citoyens.
Les causes sont liées à la mal gouvernance. Il y a des gens qui ont pillé ce pays. On a dit de faire la lumière sur tous les détournements qui sont faits ces 30 dernières années. Il y a les rapports de l’ASCE-LC, du REN-LAC, de la Cour des Comptes sur ces cas-là. Même dans le cadre des audits sur les lotissements, on a vu des anciens maires qui ont été libérés. Ils ont fait table rase de tout cela et aujourd’hui ils disent aux citoyens de payer plus. C’est pourquoi nous disons que ce gouvernement-là veut faire payer les frais de la mal gouvernance au peuple.

Comment le SNAID a-t-il accueilli le retour de l’impôt sur les propriétés bâties et non bâties sous le gouvernement Thiéba, impôt qui avait été supprimé dans les années 1970 ?
Il s’agit d’une revendication du SNAID dans sa plateforme. En le revendiquant, nous visions deux objectifs principaux.
D’abord, il s’agit de tous ces riches qui ont accaparé les terres des paysans, les terres des pauvres en campagne tout comme en ville. Tous ceux qui ont des centaines d’hectares et des dizaines de parcelles, il faut qu’ils contribuent au développement du pays.
Ensuite, c’était pour éviter la spéculation dans le domaine des parcelles. Il y en a qui les payent, qui les déposent et les vendent plus chères quelques années plus tard. Nous avons revendiqué cet impôt pour pallier ces maux.
Mais tel qu’il a été institué, le SNAID s’inscrit en faux contre ce principe. Parce qu’ils exonèrent tous ceux qui ont des immeubles en zones non-loties. Vous imaginez donc ces centaines d’hectares que les gens ont bornées dans les campagnes. Vous imaginez tous ces domaines qui sont aux alentours de Ouagadougou et qui vont échapper à l’impôt. Qui sont ceux qui vont payer l’impôt maintenant ? Ce sont ces quelques citoyens qui se cherchent et qui sont identifiés, c’est sur eux qu’on va se rabattre. Voilà pourquoi nous disons que l’impôt qui a été mis en œuvre n’est pas la vision que nous recherchions.

Vous dénoncez les exonérations injustes qui sont accordées à une certaine catégorie de personnes. Qui sont-elles et qui leur accordent ses exonérations ?
Les exonérations fiscales sont définies dans les textes (le Code des impôts, le Code des investissements, le Code minier, etc.). Mais qui sont ceux qui bénéficient de ces exonérations ? Ce sont les grands détenteurs de capitaux. Si vous prenez par exemple le domaine de l’or, ces investisseurs qui arrivent et qui bénéficient des exonérations sur 5 ou 7 ans. Après ce temps, par exemple, ils finissent d’exploiter et décident de céder la mine à une autre personne. Ils bénéficient donc des exonérations sans qu’en retour on puisse leur imposer lesdites exonérations. Vous avez aussi ces grands marchés de construction où souvent ceux qui ne remplissent pas les critères, on leur donne et à la fin des travaux, on ne voit rien de concret. Vous avez vu le cas de l’ONATEL sur lequel le REN-LAC a fait un rapport. Les milliards qui ont été perdus suite à un redressement douanier sont liés à des exonérations. Puisque l’ONATEL avait acquis des biens en exonération. Quand ils ont cédé l’ONATEL au nouveau propriétaire, il fallait rappeler ces droits. Ce sont ces droits qui n’ont pas fait l’objet de rappel. Voilà un exemple qui prouve que ceux qui bénéficient des exonérations en abusent. Donc, l’autorité est complice de ce type d’exonérations.

Selon vous, les justifications administratives et politiques qui sous-tendent les nouvelles taxes résistent peu à une analyse approfondie. Comment l’expliquez-vous ?
Les prévisions qui sont faites sur la base de ces nouvelles taxes sont estimées à 8 milliards. Vous pensez que 8 milliards peuvent permettre un décollage économique réel de ce pays ? J’ai dit tantôt qu’il faut chercher les causes qui ont mis le pays à genoux. Ce n’est pas l’absence de ces nouvelles taxes ! Ce sont les mauvaises gestions administratives et économiques qui ont mis ce pays à genoux. Il faut s’attaquer à ces maux-là. J’ai parlé tantôt du rapport du REN-LAC qui décèle au minimum 11 milliards. Ce montant-là, c’est pour une seule société. Si on recouvrait ce montant-là, cela dépasse largement les 8 milliards prévus à travers l’imposition des nouvelles taxes. Ils ont dit d’étendre cela aux autres sociétés. A l’Assemblée nationale, ils ont également dit qu’il y a un audit sur cette gestion. Il y a aussi le rapport sur le foncier qu’ils viennent de publier avec des centaines de milliards de détournements. Vous voyez que si tout cela est recouvré, ce n’est pas à comparer aux 8 milliards des nouvelles taxes qu’on vient d’instituer. Vous pouvez extrapoler dans d’autres secteurs comme les mines, les banques, les assurances, les importations. Vous verrez que cela n’a rien à voir avec ces taxes qu’on vient d’imposer.

Qu’est-ce qu’une exonération fiscale « injuste de complaisance » ?
Ce sont des exonérations qui sont accordées sans avoir pesé ce que nous gagnons concrètement. Quand on accorde une exonération, c’est qu’on attend quelque chose en retour. Dans la tendance au Burkina Faso, ils disent que notre économie n’est pas compétitive. Cela veut dire que les matériaux sont chers.
Pour attirer les investisseurs étrangers, on leur accorde des exonérations. Or, ceux-ci ne viennent pas pour nos beaux yeux ! Ils viennent pour rentabiliser. Donc, si vous donnez des exonérations à des gens qui se sucrent sur le dos du peuple, à quoi auraient-elles servi ? La mise en œuvre pose également beaucoup de problèmes au niveau de l’administration fiscale. Cela constitue une source de détournements pour beaucoup d’autres entreprises. Voilà pourquoi nous disons que ce sont des exonérations de complaisance qui ne sont pas basées sur une analyse économique profonde.

Le gouvernement a décidé d’accorder une exonération des frais de douanes et de la TVA aux importateurs de véhicules poids lourds. Quelle analyse faites-vous de cette décision dans un contexte de marasme économique?
A priori, comme ils l’ont expliqué, c’est pour permettre de faire rentrer ces véhicules dans le domaine des transports et des hydrocarbures. On suppose bien que l’idée est noble. Mais, pas dans la mise en œuvre ! Puisque nous n’avons pas un système économique sain à l’intérieur. A supposer que l’intéressé importe ces véhicules poids lourds hors taxes et hors douanes pour quelques années après les revendre.
A quoi aurait servi cette exonération? Quel système on met en place pour garantir que ces véhicules qui seront importés vont rester dans le patrimoine des intéressés jusqu’à leur amortissement ? Si cela n’est pas pris en compte, c’est comme si on ouvre un marché noir à des individus qui vont importer des biens hors taxes, hors douanes et s’il n’y a pas de suivi, ils les revendent sur le marché. Ce sont des gens qui s’enrichissent sur le dos de l’Etat. Puisqu’ils ne vont pas payer de taxes.

Christophe Bangré


Repenser le mode d’imposition du secteur informel

Le secteur informel constitue un casse-tête au niveau du système économique pour son manque de contrôle. Il faut l’encadrer parce que les acteurs sont très peu organisés et leur suivi est très difficile. Le système d’imposition qui y est appliqué n’est pas juste. Je prends l’exemple d’un tailleur. On dit que vous êtes tailleur et que vous devez payer 60 mille F CFA comme montant forfaitaire.
Ce n’est pas juste parce que quand on prend deux tailleurs qui font respectivement des chiffres d’affaires de 5 et 10 millions, on ne rentre pas au fond pour voir si la personne a une comptabilité et qu’est-ce qu’on en fait ? On doit déterminer l’imposition du secteur informel en fonction du chiffre d’affaires au lieu de faire un montant forfaitaire pour tout le monde. Il y a d’autres sur qui cela pèse et sur d’autres cela ne pèse pas. Vous imaginez aujourd’hui qu’il y a des acteurs du secteur informel qui importent des biens à des milliards de FCFA. En principe, si quelqu’un de ce secteur-là arrive à la douane, on tape son numéro IFU. S’il se trouve que tu importes des biens à des milliards, on doit commencer les procédures depuis la douane, les suivre jusqu’à l’intérieur et les déclasser. Chose qui n’est pas faite.
Comment quelqu’un peut dire qu’il est du secteur informel et importer des biens coûtant des milliards à l’insu des agents des impôts ? Et c’est ce qui est fréquent ! Dans un tel contexte, lorsque les marchandises rentrent, et comme les biens ne sont pas suivis, les magasins ne sont pas identifiés, ils se la coulent douce. Voilà pourquoi nous disons qu’au niveau du secteur informel, il faut repenser le mode d’imposition.

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